« CONFLITS D’INTÉRÊTS EN FRANCE : comment restaurer la confiance des patients-citoyens envers notre système de santé ? ». Le débat à l’initiative de l’Ordre national des médecins tombait à pic, alors que l’Assemblée nationale adoptait le même jour le projet de loi de Xavier Bertrand sur le contrôle et la sécurité du médicament (encadré).
Le diagnostic général est sévère. « Nous traversons une crise de confiance sans précédent, avec une accumulation de scandales », estime le Dr Michel Legmann, président du CNOM, pour qui la loi doit manifester « une volonté de transparence et d’indépendance ». Christian Lajoux, patron du LEEM (syndicat patronal de l’industrie pharmaceutique) juge lui aussi nécessaire de « faire un pas supplémentaire vers la transparence car certains comportements ne sont pas très rigoureux ». Pour le Pr Jean-Luc Harousseau, président de la Haute Autorité de santé (HAS), « il n’est pas facile de trouver des experts sans liens d’intérêts ». Quant à Yves Bur, député UMP du Bas-Rhin, il va plus loin et jette un pavé dans la mare : « Le texte de Xavier Bertrand ne résout pas tout, comme par exemple, les liens d’intérêts entre les syndicats médicaux et l’industrie pharmaceutique ». Pneumologue au CHU de Brest, Irène Frachon explique avoir été parfois aidée par des laboratoires en matière de logistique, mais sans recevoir d’émoluments, et sans qu’ils interfèrent non plus dans son travail. « Attention, ajoute-t-elle, dès la première poignée de main avec un industriel, il se crée une tension entre le lien d’intérêt que vous tissez, et l’intérêt des patients ».
L’Ordre veut centraliser et sanctionner.
Sur les remèdes, quelques idées fortes semblent partagées. Le Pr Harousseau suggère de mettre en place un formulaire unique de DPI (déclaration publique d’intérêts) pour toutes les institutions et toutes les déclarations, afin de faciliter leur vérification, une idée largement reprise. Pour le Pr Nicolas Danchin, cardiologue, chef de service à l’hôpital Georges Pompidou, il « faut simplifier (la déclaration) par un outil commun ».
Les avis sont plus partagés sur le guichet unique préconisé par l’Ordre national des médecins (CNOM), statut que l’institution...se propose d’assumer. Pour Dominique Maraninchi, directeur général de l’AFSSAPS [Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé], « une seule agence ordinale examinant toutes les conventions (impliquant des industriels) déresponsabiliserait les agences publiques qui doivent prendre elles-mêmes leurs décisions ». Christian Lajoux se dit favorable au principe du guichet unique, le jugeant « préférable à une simple déclaration volontaire ». Quant à Jean-Pierre Door, député UMP du Loiret, il souligne que lors de la préparation du projet de loi de réforme du médicament, il s’est interrogé avec le ministre sur la nature d’un organe collecteur en matière de conventions, sans réponse. Le patron de l’Ordre a une solution toute trouvée : « l’endroit adéquat pour centraliser toutes les conventions signées,
c’est le CNOM ! Inutile de créer une énième agence alors qu’on traite déjà l’affaire ». Remonté, le
Dr Legmann voudrait surtout se donner les moyens de combattre plus efficacement les dérives. Si le montant de la rémunération de certains chercheurs par des laboratoires était connu, avance-t-il, « il y aurait des surprises ! ». « Nous réclamons des moyens de sanction, alors que notre avis n’est pour le moment qu’indicatif ». Et de pointer du doigt certaines « pratiques hospitalières » lors de séminaires ou colloques jugés suspects.
À l’heure de la réforme, chacun veut occuper le terrain. Le Pr Harousseau considère qu’il appartient à la Haute Autorité d’exclure un expert en situation de conflit d’intérêt, mais que la HAS n’a pas vocation à vérifier les informations contenues dans les DPI. « Si on nous demande de le faire, on le fera », nuance-t-il. Irène Frachon précise que l’Ordre recense chaque année...80 000 conventions signées entre des médecins et des laboratoires .« N’y a-t-il pas trop de liens d’intérêts en France ? », suggère-t-elle.
Conscient du fait que la loi « médicament » sera bientôt définitivement adoptée, Michel Legmann reconnaît que ce débat sur les moyens de diffuser une culture de la transparence arrive « peut-être un peu tard ». Mais il a déjà pris des contacts avec nombre de sénateurs « pour tenter d’infléchir le texte ».
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