L'infertilité progresse à l'échelle mondiale, en lien notamment avec le recul de l'âge de la première grossesse. Cette dynamique n’épargne pas les femmes atteintes de rhumatismes inflammatoires chroniques (RIC) mais l'impact spécifique de ces pathologies sur la fertilité n'a été étudié que dernièrement. Dans le cas de la polyarthrite rhumatoïde (PR), « des données convergentes montrent une diminution du nombre d'enfants par rapport aux attentes initiales, précise la Dr Anna Molto*. En 2015, l'étude PARA (1) a aussi montré pour la première fois que les femmes atteintes de PR présentent plus souvent un délai de conception supérieur à un an, seuil au-delà duquel l'OMS définit l'infertilité. Dans cette étude, le délai médian avant la conception est précisément de 19,1 mois, et 24 % des patientes présentent un délai supérieur à 12 mois. » Une relation directe a également été constatée entre l'activité de la maladie, la consommation de corticoïdes, et l'allongement du délai conceptionnel, avec un effet dose pour chacun de ces facteurs, et de manière indépendante. Dans la spondyloarthrite (SPA), le délai préconceptionnel s’allonge aussi avec une médiane de 16,1 mois selon une analyse récente de la cohorte française GR2 (2).
De plus, les patientes atteintes de PR ont des taux d'hormone antimüllérienne, marqueur de la réserve ovarienne, plus bas. « Notre constat est similaire dans la spondylarthrite, avec des taux médians comparables à ceux d’une population générale 10 ans plus âgée », indique la Dr Molto, dont les travaux (en attente de publication) ont été présentés au congrès de l’American College of Rheumatology.
Outre ce taux bas d'hormone antimüllérienne, d’autres facteurs peuvent intervenir comme l’âge maternel, la nulliparité, la durée de la maladie, son activité, ou encore les troubles de la sexualité engendrés par la maladie (douleur, fatigue, raideur, anxiété).
Certains traitements symptomatiques modulent aussi la fertilité chez les femmes souffrant de RIC. Par exemple, dans la PR, « une activité élevée de la maladie et l'utilisation de corticoïdes (> 7,5 mg/j) aggravent l’hypofertilité, probablement en perturbant l'axe hypothalamo-hypophyso-gonadique et la prolifération utérine périconceptionnelle. » Même constat chez les patientes atteintes de SPA où la prise d'AINS triple pratiquement le délai de conception. « Les anti-inflammatoires semblent nuire à la fertilité en inhibant la rupture folliculaire et l'implantation embryonnaire, en bloquant les prostaglandines », avance la Dr Molto. En revanche, les traitements par anti-TNF semblent favoriser la fertilité, grâce à un meilleur contrôle de l'inflammation et à une réduction des douleurs fonctionnelles.
Nouvelles recos
En raison de son influence directe sur la fertilité et les issues obstétricales « le contrôle de l'activité inflammatoire avant la conception et tout au long de la grossesse est essentiel, indique la Dr Molto. Pour les patientes nécessitant un traitement symptomatique préconceptionnel (AINS, corticoïdes), il faut envisager une transition vers des traitements de fond adapté, les anti-TNF de préférence et si possible à faible transfert transplacentaire ».
Un contrôle intensif de l'activité de la maladie rhumatismale chronique, en utilisant la stratégie "treat to target", permettait de réduire de moitié le délai de conception chez les patientes atteintes de RIC (4).
Alors que jusqu’à peu, les traitements étaient souvent arrêtés par précaution en cas de projet de grossesse, cette approche ciblée, intensive, vient d’être intégrée dans les recommandations Eular (5). « En traitant l’activité de la maladie de manière intensive dans le but d'atteindre la rémission, ou à défaut, une faible activité, comme cela se fait en dehors du contexte de grossesse, mais avec des traitements adaptés, il est possible de réduire significativement le délai de conception, le rapprochant même de la normale », insiste la spécialiste. Un choix qui s’appuie sur les données très rassurantes de tolérance grâce aux 20 ans de recul dont dont on dispose pour les anti-TNF. D'autres biothérapies, comme les inhibiteurs de cytokines pour lesquels on dispose d’un recul important (tocilizumab anti IL-6, abatacept…), peuvent également être utilisés si les anti-TNF ne suffisent pas. Les données de pharmacovigilance ne montrent aucun signal préoccupant, hormis un léger surrisque infectieux, attendu pour l'ensemble des biothérapies. En revanche, les inhibiteurs de JAK restent contre-indiqués en raison de leur caractère tératogène bien documenté dans d'autres contextes, comme les MICI.
*Hôpital Cochin, AP-HP, Paris
(1) Brouwer J et al. Ann Rheum Dis. 2015;74:1836-41
(2) Hamroun S et al. RMD Open. 2024;10:e004745
(3) Franc M et al. Arthritis Rheumatol. 2024;76 (suppl 9)
(4) Cornelia H. Quaack et al. ACR Convergence 2024; Abstract number 1647
(5) Rüegg L et al. Ann Rheum Dis. 2025 Apr 25:S0003-4967(25)00818-0
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