La polyarthrite rhumatoïde (PR) affecte préférentiellement les femmes. À l’échelle mondiale,
le sex-ratio est évalué à 4/1 avant l'âge de 50 ans, et se réduit à 2/1 après 60 ans. Les mécanismes exacts qui sous-tendent cette différence restent en grande partie méconnus. Plusieurs hypothèses suggèrent l’intervention de facteurs biologiques (liés au sexe) et/ou de facteurs sociologiques (liés au genre).
Le poids du chromosome X
Sur le plan biologique, le chromosome X apparaît comme un acteur clé dans la prédisposition des femmes à l'auto-immunité. L'effet-dose du chromosome X est d’ailleurs suggéré dans le lupus érythémateux systémique ou la sclérodermie systémique par l'observation d'une susceptibilité accrue à ces maladies chez les individus porteurs du syndrome de Klinefelter (XXY), et un risque réduit chez les sujets Turner (X). De plus, la présence de mosaïsme de cellules XX et XXY dans le sang périphérique d'hommes atteints de PR, plus fréquente que chez les hommes sains, suggère un effet-dose du chromosome X dans cette pathologie (1).
L'inactivation d'un des chromosomes X chez les individus XX constitue un mécanisme évolutif clé pour garantir l'équilibre de l'expression des gènes liés au chromosome X entre les sexes. Cependant, cette inactivation étant aléatoire, elle engendre aussi des différences supplémentaires dans l'expression génétique entre les sexes. Or, on recense 54 gènes impliqués dans l'immunité innée et adaptative sur le chromosome X dont des gènes clés comme TLR7/8, FOXP3 et CD40LG. Chez les patientes PR, on observe une plus grande proportion de cellules périphériques présentant une inactivation asymétrique (ratio de 80:20 au lieu de 50:50), indépendamment de l’âge auquel se déclare la maladie (2). L’observation a également été faite au sein de fratries de jumelles monozygotes chez les sœurs atteintes de PR (comparativement à leur sœur saine) (3). Par ailleurs, 25 % des gènes portés par l’X échappent à cette inactivation. Il en résulte une expression biallélique de ces gènes qui pourrait contribuer au plus grand risque d’auto-immunité chez les femmes.
Hormones et immunité, des liens complexes
Les hormones sexuelles jouent un rôle complexe dans la modulation du système immunitaire. Les œstrogènes stimulent l’immunité innée et adaptative à faible dose, tandis qu’à des concentrations élevées, ils exercent des effets anti-inflammatoires ; quant à la progestérone, elle favorise la tolérance immunitaire tout comme la testostérone. Bien que les études épidémiologiques concernant le rôle des facteurs hormonaux endogènes soient contradictoires et peu robustes, il semblerait que la testostérone exerce un effet protecteur chez les hommes et que la chute brutale en œstrogènes au décours du post-partum et de la ménopause, en particulier si elle est précoce, expose les femmes à un risque plus élevé de PR.
Enfin, le microchimérisme fœtal, phénomène spécifique aux femmes résultant de l'échange de cellules entre la mère et le fœtus pendant la grossesse (en particulier si celle-ci est compliquée), pourrait également contribuer à la susceptibilité des femmes à la PR par transfert à la mère de l'épitope partagé porté par le fœtus(4).
Genre et facteurs de risque environnementaux
Les études épidémiologiques et physiopathologiques sur le rôle du tabac dans la PR ont mis en évidence l'importance des interactions entre les facteurs environnementaux et les facteurs génétiques dans le déclenchement de la maladie. Or, la nature et l’intensité des expositions environnementales sont fortement modulées par le genre (construction sociale influençant les comportements et les rôles dans une société).
Le tabagisme, facteur de risque majeur de survenue de PR et comportement majoritairement masculin, semble avoir un impact plus important chez les hommes que chez les femmes. L’exposition à la silice (SiO2), considérée comme le facteur de risque professionnel le plus important dans la PR, a initialement été étudiée exclusivement chez des travailleurs masculins des secteurs industriels. Cependant, des travaux récents ont mis en évidence un risque accru de PR ACPA+ chez les femmes, en particulier dans l’industrie textile, où elles sont exposées à des poussières riches en silice. Ainsi, l’exposition à la SiO2, initialement considérée comme un facteur de risque exclusivement masculin est en réalité probablement sous-estimée chez les femmes. Les expositions liées à la sphère domestique constituent également un angle mort dans les études épidémiologiques, or les femmes y sont plus exposées que les hommes. À titre d’exemple, l’utilisation de combustibles comme le bois pour la cuisson ou le chauffage dans des environnements mal ventilés expose les femmes, particulièrement dans les régions défavorisées, à des particules toxiques. Une étude mexicaine a démontré une corrélation entre ces expositions et des taux élevés d’ACPA, soulignant l’importance d’intégrer des facteurs environnementaux domestiques dans l’étude des risques de PR et de ne pas minimiser l’impact de l’environnement dans l’apparition de la PR chez les femmes.
Plus globalement, ces observations soulignent la nécessité de prendre en compte le genre et le sexe dans les études portant sur la PR, de la physiopathologie à la réponse aux traitements jusqu’aux complications de la maladie.
(1) Martin GV et al. 2019;9:12880
(2) Chabchoub G et al. Arthritis Res Ther 2009;11:R106
(3) Zito A et al. Nat Commun. 2019 Nov 25;10(1):5339
(4) Rak JM et al. Arthritis Rheum 2009;60:73-80
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