Une épidémie essentiellement environnementale

Demain tous myopes ?

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Publié le 20/06/2019
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myopie

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Crédit photo : PHANIE

De 20 % dans les années soixante-dix, la prévalence de la myopie est passée à 40 % actuellement et pourrait atteindre bientôt la moitié de la population mondiale. En Asie, alors que la myopie ne concernait que 15 % de la population chinoise il y a 60 ans, elle touche aujourd’hui près de 90 % des adolescents des métropoles d’Asie. « L’Europe n’est pas épargnée par ce phénomène, puisqu’en un demi-siècle, la prévalence de la myopie y a doublé », s’alarme le Pr Nicolas Leveziel (CHU de Poitiers). L’ampleur et la rapidité du phénomène ne peuvent pas s’expliquer par des facteurs génétiques : l’environnement joue un rôle prédominant, avec un mode de vie urbain qui restreint les activités extérieures au profit de la vision collée, aux écrans.

Chercher la lumière !

L’exposition à la lumière du jour joue un rôle essentiel dans la vision. Une étude montre que 40 minutes de plus par jour d’exposition au soleil réduisent chez les enfants la survenue de la myopie de 30 %, et ralentit largement sa progression. Une métaanalyse de 19 études montre que des activités en extérieur plus de 2 heures par jour diminuent d’un tiers le risque de myopie. Et cela même chez les enfants dont un ou deux parents sont myopes. « Toutes ces études confirment qu’on peut toujours agir, même si l’hérédité est défavorable, et même si l’enfant est déjà myope, affirme le Pr Arnaud Sauer (CHRU de Strasbourg). Il faut favoriser les activités sportives à l’extérieur et non en salle ! ».

Des études plus récentes tendraient à montrer que le spectre bleu/violet de la lumière du jour aurait un effet protecteur vis-à-vis de la myopie. L’effet bénéfique de la lumière naturelle serait d’origine dopaminergique. La lumière stimule les cellules ganglionnaires rétiniennes sensibles qui provoquent la production de dopamine laquelle limite l’agrandissement de l’œil. Un protocole de traitement par dopaminergiques a été utilisé chez des enfants en Asie mais l’étude a été arrêtée, celle-ci, trop fortement dosée, entraînant des complications neurologiques.

En classe, regardez par la fenêtre

Le travail et/ou la lecture de près sont des facteurs péjoratifs pour la survenue et l’aggravation de la myopie. Une métaanalyse menée par l’équipe d’ophtalmologie du CHU de Clermont-Ferrand montre, chez 135 469 personnes de 6 à 38 ans, que la prévalence de la myopie en cas de travail de près est de 37 % chez les enfants et de 59 % chez les adultes, avec une corrélation entre la progression de la myopie et le nombre d’heures passées en vision de près. Il a aussi été montré que, plus on finit tard ses études, et plus on devient myope.

La distance habituelle de lecture de près est de 30 à 40 cm à l’âge adulte, mais il faut tenir compte que, chez l’enfant, elle est bien plus courte – et augmente avec la croissance, de 5 cm à la naissance à 10 cm à 20 ans. Il ne lit pas trop près s’il est à 20 cm ! On a constaté que la myopie est significativement plus sévère en cas de lecture en position assise. Ainsi on préconise que l’enfant lise ou fasse ses devoirs alternativement couché sur le ventre ou allongé sur son lit, ce qui permet de faire varier la distance de lecture et évite que le globe oculaire ne s’allonge en permanence.

Il faut certes limiter le travail de près mais aussi défocaliser régulièrement, idéalement en regardant au loin toutes les 10 minutes ou en fermant les yeux afin de relâcher la tension sur les fibres de l’œil.

Favoriser la vision de loin et l’exposition à la lumière naturelle sont certainement deux facteurs essentiels pour limiter la progression de la myopie chez l’enfant en âge scolaire, mais d’autres questions se posent, comme l’éventuel effet délétère d’un apprentissage de la lecture trop précoce. Dans les pays nordiques, où pourtant l’exposition lumineuse est limitée et le niveau d’études élevé, la prévalence de la myopie est inférieure… mais l’apprentissage de la lecture se fait deux ans plus tard qu’en France. Un déficit en vitamine D et un manque d’exposition à la lumière pendant la grossesse pourraient aussi intervenir, puisqu’on a constaté, aux États-Unis et en Europe, que les enfants nés en été ou en automne étaient plus exposés à la myopie.

Communications des Prs Nicolas Leveziel (CHU de Poitiers) et Arnaud Sauer (CHRU de Strasbourg)

Dr Maia Bovard Gouffrant

Source : Le Quotidien du médecin: 9759