LES NEUROPATHIES diabétiques sont associées à des modifications du système nerveux central (SNC). C’est ce qui ressort de plusieurs travaux présentés à Berlin. Pour autant, est-ce l’expression d’une neurodégénérescence ou plutôt une adaptation du SNC ? Il est bien difficile de trancher pour l’instant. Mais ces nouvelles données ouvrent des perspectives, en particulier en termes de physiopathologie, encore largement méconnue. Elles pourraient aussi, à terme, fournir de nouveaux horizons thérapeutiques. Actuellement, la prise en charge des neuropathies douloureuses reste délicate, même si, comme le montre un essai thérapeutique récent, la bithérapie antidépresseur/antiépileptique permet d’améliorer les réponses chez les patients restés algiques sous monothérapie.
Un marqueur de déficit cognitif/démence ?
On sait que le diabète contribue à accélérer l’atrophie cérébrale, avec des impacts délétères sur la cognition et le risque de démence. Mais les mécanismes impliqués dans cette dégénérescence restent assez méconnus, même si les modifications chroniques, métaboliques et vasculaires, sont supposées y jouer un rôle important. Or le Dr Dinesh Selvarajah (Royal Hallamshire hospital, Sheffield, Grande-Bretagne) et son équipe avaient déjà mis en évidence qu’il existe une atrophie spinale précoce dans la neuropathie diabétique.
Un nouveau travail, présenté à Berlin, va plus loin (1). Il montre que la neuropathie diabétique est associée à une atrophie de la matière grise visualisée en IRM. Elle pourrait donc peut-être un jour constituer un marqueur pronostique de déficit cognitif et démence dans le diabète. L’étude a été menée sur 48 diabétiques de type 1 - 22 sans neuropathie, 14 présentant une neuropathie douloureuse, 12 une neuropathie indolore - plus 17 sujets contrôles sains. Les résultats, après ajustements, mettent en évidence significativement plus d’atrophie de la matière grise, surtout périphérique, chez les personnes atteintes de neuropathies (p‹0,01). Alors que, en revanche, la matière grise profonde semble relativement épargnée et qu’on n’observe pas de différence entre les groupes, ni pour la matière blanche, ni pour le fluide ventriculaire. « Ces données suggèrent qu’il y a une augmentation de l’atrophie de la matière grise dans les neuropathies diabétiques, qu’elles soient douloureuses ou non douloureuses. Or cette association entre atrophie centrale et neuropathie périphérique semble indépendante de la microangiopathie. La neuropathie pourrait donc être impliquée dans l’atrophie centrale », conclut D. Selvarajah. Faut-il en déduire que neuropathie équivaut à neurodégénérescence ? Il est trop tôt pour l’affirmer. « Seules des études prospectives de suivi longitudinal permettront de déterminer l’histoire naturelle de cette atrophie. Néanmoins, ce travail apporte un nouvel éclairage sur les interactions entre SNC et neuropathie » selon D Selvarajah.
La bithérapie en alternative aux hautes doses.
Deux types de médicaments sont aujourd’hui agréés en France dans le traitement symptomatique des neuropathies périphériques : des antidépresseurs (amitriptyline, clomipramine, imipramine, duloxétine) et certains antiépileptiques (carbamazépine, gabapentine, phénytoïne, pregabaline). Mais « seules deux molécules ont l’agrément à la fois européen et américain dans les neuropathies diabétiques : la duloxetine (Cymbalta, Elli Lilly) et la pregabaline (Lyrica, Pfizer) », selon Stefan Wilhelm (Lilly, Hambourg, Allemagne). Quoi qu’il en soit, tous ces médicaments ont des efficacités inconstantes et des effets indésirables fréquents aux posologies efficaces, selon la HAS (2). D’où la question : que faire chez les patients encore hyperalgiques sous monothérapie à dose efficace ?
Dans cette situation, l’étude COMBO-DN, présentée en avant-première Berlin, suggère que la bithérapie pourrait constituer une alternative intéressante à l’intensification de la monothérapie (3).
L’essai multicentrique porte sur 30 diabétiques - 11 ans de diabète et 2 ans de neuropathie en moyenne - restés très algiques sous monothérapie à dose efficace (duloxétine : 60 mg/j, pregabaline : 300 mg/j). Parmi eux, la moitié a été traitée par intensification (duloxétine : 120 mg/j ou pregabaline ; 600 mg/j), l’autre moitié par l’association (duloxétine 60 mg/j plus pregabaline 300 mg/j). Or les résultats montrent que « l’association, sans être plus efficace, l’est tout autant que l’intensification. Elle peut être considérée comme sûre et bien tolérée », selon S Wilhelm. Avec possiblement moins d’effets secondaires, du moins peut-on l’espérer, l’étude manquant malheureusement singulièrement de puissance.
Inconfort gastrique et gastroparésie : une origine centrale ?
De très nombreux diabétiques se plaignent de douleurs gastro-intestinales, notamment de météorisme, sensation de trop-plein, nausées, vomissements, douleurs abdominales, constipation, diarrhées. Si divers mécanismes peuvent y participer - neuropathie du système autonome, contrôle glycémique, dysfonctionnement moteur, facteurs psychologiques, hormones du tractus gastro intestinal - l’origine de cet inconfort n’est pas totalement comprise. Divers travaux ont déjà mis en évidence des dysfonctionnements : réduction de l’inhibition descendante du SNC sur la moelle, modifications de l’élasticité et de l’activité neuronale au niveau de l’estomac... À Berlin, une étude d’imagerie (résonance magnétique DT) est venue relancer le débat (4). Le travail, présenté par Erik Softeland (Haukeland University Hospital, Bergen, Norvège) a en effet mis en évidence des modifications de microstructure dans les aires cérébrales impliquées dans les sensations viscérales chez des diabétiques présentant des symptômes intestinaux (26 diabétiques symptomatiques versus 23 contrôles sains). Ce qui suggère que des modifications cérébrales participent à la physiopathologie des symptômes gastro-intestinaux chez les diabétiques.
(1) D Selvarajah et al. Evidence of grey matter atrophy in diabetic neuropathy: a magnetic resonance imaging brain volumetric study. OP 08, Berlin 2 octobre 2012. Etude financée par le Juveniles Diabetes Research Found
(2) HAS, juin 2007, Bon usage du médicament. SMR /Lyrica
(3) S Wilhelm et al. Initial treatement with duloxetine or pregabaline in patients with painful diabetic neuropathy. Data from randomised double blind parallel group COMBO-DN study. OP 08, Berlin 2 octobre 2012. Étude financée par Elli Lilly & Co
(4) E. Softeland et al. Altered brain microstructures assessed by diffusion tensor imaging in patients xwith diabetes mellitus and gastrointestinal symptoms. OP 08, Berlin 2 octobre 2012.
Etude financée par l’Europe (EU 7 th Framework programme ) et l’Association Norvégienne du Diabète.
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