Par Mohamed Rezkallah
Rico, essoufflé, poussa la poignée d’un coup sec : Jim n’était plus dans sa chambre. Plus tôt, il avait hésité à ouvrir la porte de la réserve où se trouvaient Julia et le docteur Tomasson et s'était ravisé au dernier moment. Pourtant, la colère bouillonnait en lui. Que faire ? Son esprit tournait à cent mille à l’heure. Il ne pouvait pas croire que le docteur Tomasson et Julia s’envoyaient en l’air pendant que lui changeait les couches du père ! Impardonnable ! Ils devaient payer.
Que Jim lorgne Julia comme la septième merveille du monde, cela ne le gênait pas. Ça leur faisait ça en commun, en un sens il portait son fardeau. Mais là, c'en était trop. Rico ne réfléchissait plus. Il agissait. Il cacha un scalpel dans sa chaussette, tenta de se calmer avec un air de Coltrane, mais rien n’y fit. Il quitta la chambre, il était en transe. Quelque chose de refoulé semblait remonter à la surface de son âme.
Il passa à la cafétéria, commanda une bière dans l’espoir que cela le calme mais il allait y aller, il le savait. Il prit la direction de la réserve et monta dans l'ascenseur. L’hôpital tout à coup lui fit penser à un théâtre. Un endroit absurde et aseptisé. Il laissa libre cours à ses pensées…
Premier étage. Tout le monde savait ce qui se passait dans la réserve et ce qu'il s’apprêtait à faire et personne ne bougeait le petit doigt. Comment se faisait-il qu’un homme sur le point de tuer passe autant inaperçu ?
Deuxième étage. Tout le monde était coupable. Tout le monde sauf lui. Il fallait se rendre en premier dans la chambre du père pour lui régler son compte mais non, plutôt, la fille et le docteur d'abord.
« Oui, pensa Rico, c’est comme ça que ça se passerait dans un film, le meilleur dès le début, faut pas faire attendre le public. »
Troisième étage. Il en voulait pour son argent, le public, il n’avait pas le temps pour les préliminaires.
Quatrième étage. Ça va droit au but ! On connaît le début, le milieu et la fin, et pourtant on est hypnotisé…
Cinquième étage. Maintenant il comprenait toutes ces fois où le docteur Tomasson passait pour discuter avec Julia… Il s’était laissé aveugler par les soins, le partage du jazz avec son père mourant… Ou peut-être était-il trop occupé à voir Jim souffrir de son amour, pour voir son propre désir ?
Sixième étage, terminus.
Rico sortit de l’ascenseur, courut dans le couloir, slalomant au milieu de la faune hospitalière qui ne fit pas attention à lui. C’était tristement habituel de courir dans un hôpital.
Il s’arrêta devant la porte et arracha l’interdiction, en fit une boulette qu’il garda dans le creux de sa main. Il se baissa, sortit le scalpel de sa chaussette. Son cœur tremblait. Il désirait Julia, c’était sa raison de se lever chaque matin. Il la voulait bestialement. Et c’était l’heure de manger.
Il toqua à la porte. Trois coups secs. Pas de réponse. Il colla son oreille, crut entendre un rire étouffé. Il se déchaussa. Enleva son pantalon, caleçon, tee-shirt, chaussettes, pressa la poignée vers le bas.
Les premières notes de « Summertime » du quatre titres « My favorite things » de Coltrane, surgirent dans son esprit. Un signe. Son album préféré. Je jouerai ce morceau de retour à maison, se dit-il. Il tira la porte et referma derrière lui.
Prochain (et dernier) épisode dans notre édition du 18 février
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