Par Mohamed Rezkallah
Jim se réveilla. Il voulait parler mais sa langue semblait paralysée, sa gorge sèche. Dans un effort surhumain, il gigota et tomba du lit dans lequel Rico, son collègue interne, l’avait installé. Il rampait jusqu’aux toilettes lorsque la porte de la chambre s’ouvrit. C’était Rico qui fredonnait « But not for me » de Coltrane.
– Mec, attends, je vais t’aider.
Jim pointa les toilettes du doigt et Rico l’aida à s’y rendre. Après avoir pris une douche, Jim se sentit un peu mieux.
– Je vais faire ma matinée, lui dit Rico. Je te ramène de quoi manger à midi. Essaie d’aller mieux avant que quelqu’un ne remarque quoi que ce soit.
À midi, Rico ramena un plateau-repas mais Jim n’avait pas d’appétit.
– Faut pas que tu craques, mec. C’est un boulot difficile, je sais, mais faut pas baisser les bras… Pense à Julia, elle arrive bientôt.
– C’est pas ça !
– C’est quoi alors ?
Jim regarda son riz au lait. Il voulait être seul. Rico l’intimidait.
– Rico, tu dois faire l’expérience par toi-même.
– Je t’écoute, mec, dis-moi tout…
Rico s’était lié d’amitié avec Kaprosky alors qu’il était en charge de sa formation. On s’attache toujours plus vite au mauvais élément qu’au bon.
En quittant la chambre de Jim, il reprit « But not for me », bifurqua après avoir traversé le long du couloir, et se rendit à la machine à café du rez-de-chaussée.
Le hall de l’hôpital était calme. Le soleil avait décliné et tout était devenu bleu et froid. Rico avait bien retenu les instructions de son collègue à propos du trou, mais il ne l’avait pas vraiment pris au sérieux. Le jeune ne tenait pas le coup, pensait Rico en commandant un moka. Sa pose était bientôt finie mais le visage de Jim, rampant, lui revint à l’esprit. Il avala son café, jeta le gobelet et prit l’ascenseur.
Rico ne se rendait jamais à la réserve. Elle n’était pas destinée à entreposer des médicaments initialement, c’était une salle de repos qui s’était transformée en fourre-tout. On y entreposait des affaires, des bouquins, des médicaments : paracétamol, vitamine C… Ça donnait une raison de faire un tour. « Je vais à la réserve » égale « Je vais souffler un peu ».
Rico ouvrit la porte. Se rendit dans le fond. Ne vit aucune trace du trou. Il soupira. Ferma les yeux, se pinça le haut du nez. Il fouilla dans les bacs, n’y décela rien d’interdit. Pas même une flasque d’alcool. Il se mit en colère : il était évident que ce petit con cherchait à quitter son job. En sortant, Rico crut entendre comme un rire. Un bref instant, quelqu’un avait ri de lui. Chair de poule. D’abord choqué par cet écho, il referma la porte en la claquant, contrarié par le rire moqueur. Le visage d’une infirmière apparut dans l’encadrement de la porte du bureau de contrôle, juste en face.
– Il ne faut pas s’en prendre à la porte comme ça ! Les portes ça rend pas les coups…
– Désolé…
– C’est toi, Rico ! Ça me rassure. Mais tu es tout pâle, on dirait que tu viens de voir un fantôme…
– Tout va bien…
– Sûr ? J’ai horreur des malades qui soignent des malades !
Rico lui adressa un faible sourire puis se rua vers l’ascenseur. Il tenta de réfléchir mais son esprit refusait de revivre cet instant. Il n’avait pas vu de trou mais autre chose lui était arrivé. Une impression de déjà-vu macabre. D’un mal qu’il avait déjà commis – ou qu’il devait commettre ? – et auquel il ne pouvait échapper.

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Du déjà vu à la prémonition (5/7)
La légende de Jim (7/7)
La confusion de Rico (2/7)
Conflit d’internes (3/7)
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