Julia était la fille unique de l’épicier installé en face de l’hôpital. La vingtaine, gaillarde, sensible, elle avait des taches de rousseur qui lui mangeaient les joues. C’était cette éruption divine sur le visage de Julia qui l’avait séduit.
Quelques semaines avant son hospitalisation, Julia avait remarqué que son père passait beaucoup de temps devant l’épicerie, à siroter un café en contemplant l’hôpital. Julia, qui comprenait vite les choses, sentit que quelque chose n’allait pas. Ce dont elle n’était pas au courant, c’était que son père, un an plus tôt, s’était enfui de l’hôpital une heure avant son opération de la prostate. Un vieil homme, qui avait subi cette opération deux jours avant, s’était assis à côté du père de Julia, tout en tenant sa perfusion, et lui avait demandé :
– Tu es là pour quoi mon ami ?
– Un petit souci avec ma prostate.
– Ah… Moi aussi ils m’ont enlevé les couilles, ils m’ont enlevé ma raison d’être.
– Ce n’est pas la même chose pour moi…
– Ils m’ont dit pareil… et puis… couic. Je me suis réveillé comme ça. Si j’étais toi, je fuirais tout de
suite.
Le père de Julia avait paniqué : il avait remercié l’autre patient, récupéré ses affaires et était rentré chez lui. Il s’était senti en forme, faisait de longues randonnées et avait de belles érections matinales. Il ne voulait pas inquiéter sa fille ni poser la question redoutée : qui s’occuperait de l’épicerie s’il lui arrivait malheur ?
Le cancer s’était aggravé et il avait dû être hospitalisé en urgence. L’opération, qu’il avait évitée un an plus tôt, l’avait affaibli. Il avait alors dû rester à l’hôpital afin de débuter la chimio et très vite avaient suivi les soins palliatifs. Julia qui travaillait à plein-temps à l’épicerie, passait tous les jours le voir.
Rico rendit visite à M. Fontin et trouva Julia épluchant une mandarine, qui embaumait l’air. Elle lui fit penser à une magnifique sainte dévote. Le père somnolait. Il aurait aimé inviter Julia à sortir mais n’en avait pas le courage… Et puis Jim en était dingue, il en parlait tout le temps.
– Bonjour Julia.
– Bonjour… Je me suis permise d’entrer. J’ai essayé de le réveiller en douceur mais on dirait qu’il ne veut pas. Il paraît encore plus maigre qu’hier…
Rico s’apprêtait à la rassurer mais on frappa à la porte.
La tête du docteur Tomasson apparut dans l’entrebâillement.
– Mademoiselle Fontin, puis-je vous voir en privé quelques minutes ?
Julia le suivit et Rico se retrouva seul avec le malade. Il pensa au CD inédit de Coltrane qu’il avait dans son sac à dos et une haine fétide lui remonta du bas-ventre. Son petit moment de plaisir venait de lui être arraché. Il quitta la chambre et aperçut le docteur et Julia monter dans l’ascenseur. Dans son esprit, une cacophonie suraiguë de cuivres rouillés swinguait. Lorsqu’il vit l’ascenseur s’arrêter au sixième, l’étage de la réserve, Rico se rua vers les escaliers. Au sixième, il slaloma puis ralentit à proximité de la réserve. Il colla une oreille contre la porte et entendit des murmures. Des rires étouffés. Du plaisir. Rico se sentit mal. Plein de colère. La main sur la poignée, il était prêt à entrer.
Prochain épisode dans notre édition du 4 février
Avec la collaboration de

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