Par Mohamed Rezkallah
Jim, fébrile, pensait rentrer chez lui pour se reposer, mais surtout oublier toute cette histoire de trou, comme le lui avait conseillé Rico. Mais en imaginant son triste studio, son frigo vide, sa télé toujours en marche et le panier à linge plein, il déprima. Son sac à dos à bout de bras, lessivé, il hésitait. Les portes automatiques s'ouvrirent et se fermèrent pour la dixième fois sous son nez. La journée était presque finie. Il se dit qu'il était ridicule de partir pour revenir travailler dans quelques heures. Il fuma ses deux dernières clopes et, pendant que la fumée stagnait un instant dans ses poumons, il réussit presque à se convaincre qu'il avait tout rêvé : le trou et sa vision à propos de Rico. Il rit même. Rico n'était pas violent, bien au contraire, c’était un homme bon, au service des patients.
La circulation, en face, devenait dense. L’épicerie était close mais illuminée. La nuit tombait sur la ville, les murmures diurnes s’estompaient et ceux de l'hôpital se précisaient. Jim prit les escaliers, certain de n'y croiser personne, et se rendit au quatrième au chevet de M. Fontin.
Sur le pas de la porte il respira un bon coup. En entrant dans la chambre, sa chaussure écrasa une mandarine. Sensation affreuse.
Le moniteur ronronnait. Le malade respirait. Il vérifia la poche à urine. Elle avait été changée il y a peu. Une odeur de femme, mêlée à celle de la mandarine, se mourait dans la pièce. Jim s’approcha. Les paupières fripées du malade se relevèrent sur l'interne. Ils se dévisagèrent. Monsieur Fontin leva un doigt translucide aussi fin qu'un crayon, le secoua, de gauche à droite avec une extrême lenteur. Jim ne comprenait pas la raison de ce geste.
– Vous avez mal ?
– Pas là, toussa M. Fontin, Julia n'est pas là…
Jim prétendit ne pas comprendre.
– Comment allez-vous aujourd'hui ?
– Julia n'est pas là…
– Rico est passé, vous avez écouté son CD de Coltrane ?
¶M. Fontin ramena sa main droite devant son visage osseux, fit un cercle en joignant les bouts de son pouce et de son index et le colla contre son œil gauche. Il sourit. Jim se figea. Rico se trouvait à la réserve ! Julia était en danger ! Par où commencer ? Il fallait les retrouver avant que ce que Jim avait vu dans le trou ne se réalise. Ses pensées se bousculaient dans son esprit mais il réussit à articuler :
– Mais… Comment savez-vous ?
– Fiston, il est temps… fit M. Fontin en tassant un coussin.
– Répondez !
Le père de Julia posa l’oreiller sur son visage et de sa main et invita Jim à venir près de lui. Jim recula, effrayé, glissa sur le jus de mandarine, et tomba en arrière. Sa nuque heurta le mur. M. Fontin gloussa sous l’oreiller et marmonna :
– J’aimerais pouvoir m’éclater comme tu le fais petit, mais je peux plus. Je peux même plus me faire mal… J’ai perdu le privilège de souffrir, tu sais ce que c'est ? Bien sûr que non…
Jim resta au sol sous le choc. Il ne savait plus où il était ni qui il était. Et la voix qui s’élevait du corps étendu sur le lit, lui semblait venir d’une vieille radio.
– Rends-moi service, une dernière fois, fit M. Fontin, en jetant l’oreiller par terre.
– Où est Julia ? ne put s’empêcher de demander Jim.
– Te dirai pas ! Elle n’est pas avec toi en tout cas…
Jim se releva en titubant, ramassa l’oreiller et avança jusqu’au père de Julia. Le malade lui souriait, le regard lumineux, accueillant.
Prochain épisode dans notre édition du 11 février.
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