L’éducation thérapeutique s’inscrit désormais dans la démarche de soins des pathologies chroniques, et le chantier est de taille. Pour le moment, pour les généralistes, il se dessine plutôt une posture éducative, c’est à dire une ETP intégrée aux soins, sans distinction formelle entre activité de soin et éducation.
L’ETP (Education thérapeutique du patient) est reconnue par la loi HPST depuis 2009 et son inscription dans la Nouvelle Stratégie Nationale de Santé en 2013 est encourageante. « Pour la première fois, souligne Jean-François d’Ivernois (université Paris-13), on considère que le patient peut devenir compétent et co-soignant. » Car l’ETP semble la seule voie possible pour assurer la mutation nécessaire des pratiques de soins du fait d’un poids des maladies chroniques devenu écrasant avec 9,5 millions de personnes en affections de longue durée (ALD) pour le régime général, générant des dépenses annuelles de 65,2 milliards d’euros.
Aujourd’hui, malgré ces efforts financiers, les résultats ne sont pas au rendez-vous comme le démontre l’exemple du diabète. En 2007, 43 % des patients avaient un équilibre glycémique insuffisant, 38 % étaient non observants après un an seulement et 48 % ne se soignaient pas correctement. « La prédominance des affections chroniques a mis en évidence l'impossibilité de concevoir une réelle politique de santé publique sans impliquer les patients et sans donner, parallèlement, aux médecins la possibilité d'être plus à leur écoute et plus disponibles en termes de temps et de compétence éducative », synthétise le Pr Claude Jaffiol, diabétologue et membre de l’Académie Nationale de Médecine.
Engagée dans cette « transition épidémiologique », l’Académie a réuni un groupe de travail pluridisciplinaire pour réfléchir aux leviers potentiels. Selon ses conclusions datant de janvier, les efforts à produire sont considérables : l’ETP est balbutiante (seuls 3 à 5% des malades chroniques ont accès à un programme d’ETP), 80% des programmes sont hospitaliers avec une labellisation qui n’est pas d’actualité et les expériences en formation initiale sont peu nombreuses avec une formation continue optionnelle (en dehors des 40 heures suivies par les intervenants en ETP) souvent plus théorique que pratique.
Une ETP en majorité hospitalière
89% des généralistes disent pratiquer l’ETP et 35% en utilisant un organisme, selon un sondage MediQual Research 2013. Ceux qui la mettent en place eux-mêmes y consacrent en général entre 10 et 15 minutes. Face à ce peu de temps accordé, une question fondamentale se pose : « Le généraliste fait-il du suivi ou de l’éducation thérapeutique ? », s’interroge Claude Vincent, président de l’Association pour la Prévention du Risque Cardiométabolique (APRC). Car, en réalité, 70 à 80% des programmes d’ETP se font à l’hôpital et seule une minorité des généralistes (1/3) met en œuvre des activités d’ETP.
Les obstacles pour le généraliste sont bien connus?: manque de temps, de financement et insuffisance de formation sont systématiquement cités (sondage Quotidien du médecin/APRC 2013). 60% d’entre eux plaident pour une consultation spécifique, payée au forfait (pour 74%).
Les généralistes prêts pour l’ETP ?
Le Dr Pierre-Yves Traynard, coordinateur du Pôle de Ressources en Education Thérapeutique Ile-de-France, estime que « pour mettre en place une ETP, le généraliste doit avant tout changer quatre paradigmes. Le premier est de reconnaître le savoir du patient afin d’aborder avec lui la maladie et ses traitements. Le second paradigme à dépasser est le suivant : se référer uniquement à l’EBM, soigner la maladie et non pas le malade, fonctionne mal. C’est une source de malentendus et d’incompréhension avec le patient. Le troisième paradigme est qu’on ne peut ni soigner ni éduquer un malade chronique seul, la collaboration pluri-professionnelle est indispensable. Un quatrième changement de paradigme se dessine, celui des rapports avec les institutions : celles-ci vont devoir prendre en compte la réalité des projets d’ETP pluriprofessionnels sur leur territoire de santé. Le chemin est encore long mais ces changements vont s’opérer, c’est inéluctable », prévoit Pierre-Yves Traynard. Le paiement à l’acte ne sera plus le seul mode de rémunération en ville et le forfait va émerger. Le travail pluriprofessionnel prendra de l’ampleur du fait des maisons de santé pluri-disciplinaires, des réseaux etc.
Quelle place pour le généraliste ?
L’enjeu, c’est 18 millions de personnes susceptibles de recevoir une éducation. « Aujourd’hui, majoritairement, le positionnement du généraliste consiste à délivrer de l’information et des conseils à leurs patients, explique le Dr Régis Bresson, président de l’Association française pour le développement de l’éducation thérapeutique (AFDET). La moitié d’entre eux orientent le patient vers des activités éducatives, vers d’autres professionnels de santé ou sur d’autres sites (réseaux de santé, établissements de santé, associations de patients, etc.). »
Le patient peut apprendre avec d’autres « mais il revient fondamentalement au généraliste de l’aider à tisser des liens entre ce qu’il apprend et sa santé, juge Pierre-Yves Traynard. Il est alors en mesure de co-organiser avec son patient un parcours éducatif. » Il existe de multiples manières pour les généralistes de participer à l’éducation thérapeutique, dès lors que celles-ci s’inscrivent dans le soutien à l’apprentissage. Ils peuvent réaliser une éducation thérapeutique au sein de leur cabinet et déterminer avec leurs patients des buts éducatifs, voire proposer des séances d’éducation collective, et même coordonner des ressources éducatives sur un territoire.
Le Pr Jacques Bringer, qui œuvre à la diffusion de l’ETP en formation initiale en tant que doyen de la faculté de médecine de Montpellier-Nîmes voit lui aussi le généraliste comme « un pivot de la continuité des soins, chef d’orchestre des divers intervenants, capable d’activer ce type de programme ».
L’ETP passera par la « posture éducative »
Mais l’idéal pour le médecin généraliste serait plutôt, selon le Dr Régis Bresson, une posture éducative, c'est-à-dire une ETP intégrée aux soins et centrée sur le patient dans toutes les dimensions sociales, psychologiques, émotionnelles qui constituent le soin, et ceci sans distinction formelle entre activité de soin et éducation : « On résume trop souvent l’ETP aux programmes éducatifs. Or non seulement cela va bien au-delà, mais les programmes d’ETP sont un mode d’éducation assez peu adapté à la médecine générale » . L’AFDET est en accord avec les recommandations du HCSP (2009) qui préconisent pour les généralistes de développer une « posture éducative », à savoir une ETP en tant que telle sans qu’il y ait obligatoirement de temps dédié à cela.
Un avis totalement partagé par le Pr Claude Attali, du Collège National des Généralistes Enseignants (CNGE) : « Formés principalement à diagnostiquer et à prescrire, les médecins n’apprennent pas à aborder l’intimité d’autrui, son corps, ses plaies, ses mots, ses silences, à tricoter avec les malades les solutions acceptables permettant de les aider à vivre le mieux possible avec leur maladie, à collaborer réellement avec les autres intervenants ». C’est pourquoi la première priorité est la formation en insistant sur l’acquisition de compétences humaines en relation médecin-malade, la communication en santé, l’approche globale du patient, le travail d’équipe en réelle collaboration.
Toutefois, si l’ETP se construit petit à petit, il s’ajoute à ces différents défis celui de la polypathologie. Les généralistes y sont confrontés au quotidien. Or il n’y a pas de réponse aujourd’hui, les programmes d’ETP n’étant que « monopathologie ».