Que certains médecins (réanimateurs, urgentistes, anesthésistes…) soient mal-aimés de leurs confrères et leur hiérarchie dans certains hôpitaux, c’est sûr. Qu’ils subissent la violence verbale de patients et de famille, c’est certain. Mais ce qui est nouveau depuis la parution de l’étude de l’équipe du Dr Arieh Riskin (Haïfa, Israël), c’est qu’il est prouvé que subir des insultes influe directement sur les performances diagnostiques et thérapeutiques des équipes soignantes et ce de façon très significative.
L’incivilité est donc à l’origine de iatrogénie, une iatrogénie qui n’est jamais prise en compte puisque toutes les mesures de lutte contre les erreurs médicamenteuses sont proposées dans des domaines techniques. Comme si les relations interhumaines n’influaient pas sur le comportement…
Un « Observateur actif » qui malmenait les équipes
L’étude israélienne a été menée dans 4 services de néonatalogie. Il s’agissait d’une expérience de simulation impliquant des équipes composées d’un médecin et de deux infirmières qui devaient prendre en charge un patient virtuel âgé de 23 jours.
Durant toute leur prise en charge, ils étaient accompagnés par un pédiatre américain qui, aux yeux des soignants jouait un rôle de simple observateur, mais qui avait pour mission soit de déstabiliser les équipes, soit au contraire de les rassurer.
Les équipes qui incluaient des soignants ayant une dizaine d’années d’expérience en moyenne en service de réanimation pédiatrique, ont été tirées au sort pour intégrer deux groupes distincts : l’un subissant des conditions de stress du fait de remarques désagréables voire insultantes de l’« observateur actif », l’autre travaillant dans des conditions de réassurance.
Diagnostiquer une entérocolite nécrosante
La séance de simulation s’est déroulée en 4 phases : la présentation de l’observateur, la mise en situation avec le mannequin de simulation, une phase de débriefing avec l’observateur, et une deuxième phase de mise en situation. L’enfant mannequin de 23 jours était né à 28 semaines de grossesse et il présentait des apnées et une bradycardie, suivie d’une insuffisance respiratoire, d’une tamponnade le tout en lien avec une entérocolite nécrosante.
La présentation initiale de l’observateur pouvait prendre deux tournures : soit rassurante, soit agressive avec des phrases scénarisées générales : « Dans votre pays, je trouve que les services de néonatalogie ne sont pas au niveau », « la seule chose que je souhaite c’est de ne pas tomber malade pendant ce voyage », « je trouve que la qualité de la médecine pratiquée ici n’est vraiment pas impressionnante ».
Au moment du débriefing, dans le bras agression verbale, l’« observateur » remettait en question des capacités professionnelles des soignants : « dans mon service vous ne tiendriez pas une semaine », « je pensais que cet exercice allait vous servir mais il faudrait revoir toute votre pratique », « ce que vous avez fait était nul »…
Risque d’erreur de prescription médicamenteuse de 12,5 %
« Agresser les soignants verbalement peut induire une iatrogénie jamais mesurée jusque là : nous avons en effet constaté que les performances diagnostiques (demande de radiographies, d’examens biologiques…) appréciées en vidéo par un comité indépendant étaient abaissées de 53 % chez les soignants agressés et les performances thérapeutiques (mise en place d’une voie centrale, évacuation de la tamponnade, prescription d’antibiotiques…) étaient moindres (moins43 %). Le risque d’erreur de prescription médicale en lien avec les insultes était de 12,5 %, explique le Dr Riskin. En outre, les soignants agressés étaient moins enclins à partager leurs informations, et à rechercher de l’aide auprès de leurs confrères. »
Ne pas minimiser l’incivilité : ce n’est pas normal d’être insulté
Que proposent les investigateurs pour réduire ce risque de iatrogénie ? Avant tout de prendre en compte les 3 types d’agressions verbales auxquelles sont confrontés les soignants et qui proviennent soit de la hiérarchie, soit de confrères, soit des patients. En moyenne 98 % des soignants doivent faire face régulièrement à des actes d’incivilité dont 50 % très régulièrement. Ils expliquent que ces insultes doivent faire l’objet de façon systématique d’une déclaration, afin d’en limiter l’incidence. Ils proposent que des campagnes soient mises en place afin de sensibiliser les soignants au fait que faire face à l’incivilité n’est pas « normal » et que ne pas se plaindre c’est faire le lit du burn out.
Enfin, ils proposent de former des membres de l’équipe à la fonction de médiateur. Ils ont en effet constaté que face à la violence verbale expérimentale de l’étude, la possibilité de recours à un médiateur faisait partie des pistes que les participants proposaient pour travailler plus sereinement.
Observatoire de la sécurité des médecins. Synthèse des fiches d’incident 2014. Ipsos / Conseil National de l’Ordre des Médecins avril 2015
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