La perception du cancer en 1970.
Fabien Calvo se souvient surtout du scepticisme qui régnait à l’époque en France autour des méfaits du tabac : « On a longtemps cru que l’impact du tabac était mineur sur la santé publique ; pourtant les premiers résultats d’études mettant en évidence ses effets délétères datent des années 1960 ». Si les pays anglo-saxons ont su très vite mettre en place des mesures de prévention, les pays latins eux, ont toujours été en retard. « Globalement il n’existait pas à cette époque en France, de volonté affirmée de politique de prévention, de dépistage et d’analyse des risques. »
Nouveaux modes de vie : explosion d’une maladie.
Les changements dans nos modes de vie ces quarante dernières années ont été associés à une augmentation importante du nombre de cancers. Principaux facteurs incriminés : le tabac, l’alcool, le surpoids, la sédentarité. Certains cancers ont même explosé depuis les années 1970, c’est le cas des cancers du poumon, mais pas seulement : « L’obésité est un facteur de risque pour les cancers de la prostate, du sein et du colon, en plus de son rôle dans les maladies cardiovasculaires ». À l’inverse certains cancers sont en voie de disparition lente en France, comme les cancers du col de l’utérus et de l’estomac, grâce à une meilleure connaissance des facteurs de risque infectieux et à leur traitement.
Trente années de progrès thérapeutiques modestes.
Les premiers traitements du cancer remontent aux années 1950. On découvrait alors la sensibilité de la maladie à certains médicaments, mais aussi la résistance thérapeutique. Puis sont arrivées les premières associations de médicaments qui permettaient des guérisons définitives en particulier pour la maladie de Hodgkin et certaines leucémies. « Beaucoup de médicaments furent développés des années 1950 à 1990, mais la balance bénéfice/risque restait défavorable. En fin de compte, ces années n’apportèrent de progrès thérapeutiques que dans les formes les moins évoluées des cancers. »
Une accélération dans la découverte de médicaments.
Une véritable révolution eut lieu en recherche fondamentale dans les années 1960-1970, lorsque les chercheurs mirent en évidence les mécanismes de la cancérisation. Il aura fallu attendre trente ans pour aboutir aux médicaments utilisés ces dix dernières années : « En identifiant ce qui dysfonctionnait à l’intérieur d’une cellule cancéreuse, on est devenu capable d’adapter le traitement à la fois à la genèse du cancer mais aussi à l’individu. Ce fut le début du concept du bon traitement pour le bon patient ». Le Pr Calvo fut ainsi particulièrement marqué par l’arrivée de l’imatinib, premier vrai médicament ciblé en 2001 : « L’imatinib transforma radicalement la vie des malades souffrant de leucémie myéloïde chronique, en contrôlant efficacement la maladie et en faisant disparaître parfois complètement les cellules porteuses de l’anomalie génétique. Je repense toujours avec regret aux patients qui sont décédés dans cette période précédant de peu cette révolution…»
Ce que la décennie promet.
« Tous les ans, 370 000 personnes rencontrent le cancer en France, et chaque cas est différent. Pourtant on a longtemps cru que tous les cancers étaient les mêmes et que, par conséquent, si l’on parvenait à trouver une molécule efficace, elle le serait pour tout le monde ; dans l’imaginaire collectif, cette croyance reste d’actualité ! » Si cette molécule unique n’est plus à espérer, une révolution thérapeutique, la médecine personnalisée est pourtant bien en marche : « Nous avançons toujours à petits pas, mais aujourd’hui les découvertes de médicaments efficaces s’accélèrent ; ces médicaments deviennent rapidement accessibles à tous grâce aux tests de génétique moléculaire réalisables sur tout le territoire. » Pour l’utilisation du trastuzumab dans le cancer du sein, il aura fallu attendre trente ans, depuis l’identification du gène chez le rat jusqu’au développement de l’anticorps qui cible la protéine. « Aujourd’hui, on est capable de le réaliser en 3 à 4 ans ! » Et le Pr Calvo en est intimement convaincu : « La recherche fondamentale des années 1970 nourrit la thérapeutique des années 2010, et ces prochaines années nous promettent assurément de belles victoires sur la maladie. Les plans cancer, la création de l’INCa, ont permis également de mettre en continuité la recherche, l’accès équitable aux thérapies personnalisées, l’information des différents publics dont les professionnels de santé, ainsi que de véritables politiques de prévention et de dépistage. »
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