UNE RÉVOLUTION. En septembre 2001, les membres de la commission de l’Assemblée ne s’y sont pas trompés. En introduction de leur rapport sur le projet de loi relatif aux droits des patients et à la qualité du système de soins, ils affirment : « La proclamation, par un projet de loi, des droits des malades, deux ans après la tenue d’états généraux, a quelque chose de révolutionnaire, tant reste ancrée dans les mentalités l’image d’un malade diminué physiquement mais aussi amoindri juridiquement face au pouvoir médical auquel il s’en remet entièrement. » La loi devait, selon eux, aboutir à un renversement des valeurs : « Le malade se verra alors reconnaître la possibilité de déterminer ce qu’il estime être son intérêt, alors que dans la relation traditionnelle avec le patient, qui repose sur le présupposé que toute décision est prise dans son intérêt, finalement le professionnel pouvait ne pas se soucier de son point de vue. »
Préparée par des états généraux de la santé qui, pendant deux ans (1998-1999), ont donné la parole aux malades et aux usagers du système de santé, la loi est votée le 4 mars 2002. Saluée par les associations de patients fortement impliquées, en particulier au travers du CISS (Collectif interassociatif créé en 1996), elle a, dès l’origine, suscité des réticences de la part des médecins. Une réserve que le Pr Bernard Glorion, alors président de l’ordre des médecins, devait stigmatiser dans un ouvrage publié en 2000, dans lequel il appelait ses confrères à « lutter contre le conservatisme pour créer une nouvelle alliance entre médecins et malades ». Le XXIe siècle, disait-il, sera celui du pouvoir médical partagé.
Inquiétude des médecins.
Peu favorables à l’accès du patient au dossier médical, les médecins exprimaient aussi leur inquiétude de voir se modifier la relation médecin-malade et le consentement du patient à certains traitements (81 % et 90 % des médecins interrogés par « le Quotidien » enmars 2000).
Cette crainte d’une détérioration du colloque singulier médecin-malade n’était d’ailleurs pas nouvelle puisque, dès la fin des années 1960, le spectre d’une dérive à l’américaine marquée par la confrontation entre robes noires et blouses blanches, a souvent été évoqué. Le premier numéro du « Quotidien » en témoigne, qui titrait à la une : « Faux coupables ». « Ce n’est pas un hasard que soudain les malades se mettent à accuser, à porter plainte à menacer », pouvait-on y lire.
Emblématique et révolutionnaire, la loi de 2002 l’est assurément, puisqu’elle traduit une rupture avec des pratiques antérieures, instaure un nouvel équilibre entre soignants et soignés et, plus largement, imprime une vision nouvelle du rapport à la maladie et à la santé, à l’aléa thérapeutique et au risque sanitaire. Ses 126 articles débordent largement le cadre de la santé et, comme le fait remarquer le récent rapport* sur le bilan de la loi, ne modifient pas moins de 8 codes, « celui de la santé publique bien sûr mais aussi les codes de la sécurité sociale, de l’action sociale et des familles, du travail, le code civil, le code pénal, de la procédure pénale et de l’organisation judiciaire ».
L’un des objectifs importants de la loi, clairement affiché, était d’améliorer l’indemnisation des victimes de fautes ou d’accidents médicaux. L’originalité de législation française par rapport à d’autres pays européens qui ont reconnu les droits des patients – Finlande (1992), Pays-Bas (1995), Grèce (1997) et Danemark (1998) – est d’avoir introduit, « pour la première fois au monde, la possibilité pour les victimes d’accidents médicaux sans faute de se voir indemniser par la solidarité nationale ».
Le sida, en première ligne.
L’irruption du sida dans les années 1980, le drame du sang contaminé mais aussi celui de l’hormone de croissance sont en toile de fond de ces évolutions, qu’ils ont contribué à accélérer. À propos du sida, Bernard Kouchner expliquait lors de la discussion parlementaire : « Quant à la pandémie du sida, elle a suscité un militantisme sanitaire dont nous avons beaucoup à apprendre et qui, déjà, a modifié certaines pratiques et bousculé bien des certitudes. »
Car ce sont bien les associations de lutte contre le sida qui ont sonné la révolte. Les premières associations de malades créées dans les années 1940-1950 s’étaient constituées comme des groupes d’entraide qui pouvaient, sur le modèle des Alcooliques anonymes créés en 1935, proposer aussi à leurs adhérents d’échanger leurs expériences afin de mieux gérer leur vie avec la maladie. Avec le sida, une nouvelle étape est franchie : les patients veulent être acteurs de leur santé et entendent avoir droit au chapitre pour tout ce qui les concerne, choix thérapeutique ou mise à disposition de nouvelles thérapeutiques, et exigent de participer aux choix et orientations des politiques de santé publique pour défendre leurs intérêts et veiller à plus de sécurité sanitaire. C’est ainsi qu’Act-Up a exigé la présence des associations à l’Agence nationale de la recherche contre le sida (ANRS aujourd’hui Agence nationale de recherches contre le sida et les hépatites) tout juste créée (1992). La gouvernance partagée, ainsi « instaurée bien avant la loi de 2002, est citée comme un cas exemplaire », souligne la sociologue Volona Rabeharisoa**.
Afin de jouer leur rôle « d’experts profanes » et d’influer sur l’état des connaissances sur leurs maladies, ces associations ont entrepris un travail considérable de formation et d’information de leurs membres en participant aux colloques scientifiques, en assurant une veille de la littérature scientifique et en diffusant les informations. L’émergence d’Internet, à la fin des années 1990, a facilité cette démocratie sanitaire naissante. Aux côtés des associations de lutte contre le sida, les associations de patients atteints de maladies chroniques (diabète) ou de maladies rares (AFM pour les myopathies) se sont également développées – on en compterait plus de 1 200. Cette montée en puissance, gage de la démocratie sanitaire, soulève quelques questions, dont celle de leur mise en concurrence, comme on l’a vu lors de la récente polémique entre Sidaction et Téléthon. « L’inégal accès des groupes de malades et d’usagers aux institutions ne risque-t-il pas de conduire à des inégalités dans le traitement des problèmes de santé », interroge par exemple Volona Rabeharisoa ? Quant aux médecins, appelés à se mobiliser en faveur des droits des patients, ils expriment encore les mêmes interrogations et les mêmes craintes.
* « Bilan et propositions de réformes de la loi du 4 mars 2002 », d’Alain-Michel Ceretti et Laure Albertini, 24 février 2011.
** « Santé publique, l’état des savoirs », sous la direction de Didier Fassin et Boris Hauray, La découverte, Paris 2010.
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