NOUS CONNAISSONS bien nos lecteurs. Ils nous appellent et nous écrivent ; nous les avons souvent réunis dans des colloques ; nous les avons rencontrés dans les salons du MEDEC ; nous les avons sondés à de très nombreuses reprises ; nous leur avons demandé de nous juger et, croyez-moi, ils peuvent être sévères ; ils nous ont exprimé leurs frustrations ou leurs compliments ; ils rêvent même d’un journal idéal que nous efforçons de faire tous les matins pour aboutir le soir au meilleur « Quotidien » possible dans les circonstances, ce qui n’est pas du tout pareil. Ils nous connaissent tout aussi bien. Ils ne craignent jamais de porter la contradiction, de discuter une information dont ils contestent la véracité ou une prise de position qu’ils n’approuvent pas. Tout au long de ces quarante ans, nous avons eu notre lot de critiques et de louanges.
Un mystère.
Qu’est-ce qui peut bien inciter un lecteur à prendre son téléphone pour s’élever contre un article ou, au contraire, pour en faire le panégyrique ? Pour le journaliste, ce sera toujours un mystère parce que, au fond de lui-même, son scepticisme lui interdit de croire qu’il soulève la moindre passion chez celui qui le lit. La fameuse influence de la presse est un mythe bien entretenu, mais un mythe. Cependant, tous les journalistes qui ont travaillé dans la presse généraliste avant de venir au « Quotidien » auront remarqué que les médecins sont différents des lecteurs des autres quotidiens. Dans l’irritation ou la satisfaction, ils ont ce génie particulier de créer d’emblée avec nous une relation directe, étroite, plutôt passionnelle.
Je me souviens d’un médecin qui m’avait écrit pour contester la teneur de l’un de mes articles, ce que nous considérons tous, ici, comme le droit immuable du lectorat et auquel j’avais répondu que, en l’occurrence, je ne pouvais écrire que ce que je pensais. Il n’a pas été convaincu et m’a adressé une seconde lettre dans laquelle il écrivait en substance : « J’ai le droit de trouver dans "le Quotidien" ce que j’y cherche parce que "le Quotidien" est MON journal ». Cette réponse, d’immense bon sens et très émouvante, m’avait laissé sans voix. Qu’est qu’un journal, en effet, sans ses lecteurs ?
Vérité immanente, mais qui complique la tâche et peut donner lieu, tout de même, à quelques excès. Comment rédiger l’article dénominateur commun de toutes les convictions et de tous les intérêts particuliers ? La rubrique « le Quotidien des lecteurs » que j’ai eu le privilège de gérer pendant de nombreuses années, est le théâtre permanent d’un conflit entre le médecin-écrivain et le journaliste-éditeur. Le journal étant la propriété morale de ses lecteurs, nos correspondants nous adressent des textes parfois trop longs (jusqu’à plusieurs pages) ou sur des sujets trop spécifiques qui ne concernent pas la totalité du lectorat. Allez donc le leur expliquer ! Qui refuse de s’exprimer en quelques lignes, qui fait des comptes d’apothicaire sur le C et CS, qui nous envoie un poème, qui souhaite la publication d’un graphique complexe, qui affirme des choses invérifiables et en tire une théorie, qui a pratiquement rédigé une thèse et juge logique qu’elle occupe tout l’espace du « Quotidien ». Mais attention ! Il ne s’agit là que d’une faible partie de nos lecteurs et si la place était extensible, nous publierions tout, sauf les textes anonymes ou indécents. À l’inverse, combien d’articles excellents, quelquefois fort bien écrits, très souvent pertinents nous avons publiés, ou simplement reçus sans pouvoir offrir au signataire la tribune qu’il avait largement méritée ! En quelque sorte, vous et nous, chers lecteurs, nous ressemblons beaucoup : le plus souvent, nous sommes capables du meilleur et, beaucoup plus rarement, du pire.
Unité.
« Le Quotidien » n’a jamais eu d’autre objectif que l’unité du corps médical. Elle n’est pas réalisée dans les faits, mais notre journal, organisme naturellement fédérateur, a créé une confluence. S’il y a des différences entre généralistes et spécialistes, entre médecine de ville et médecine hospitalière et entre les syndicats médicaux, la présence quotidienne d’un journal qui donne la parole à tous, expose les problèmes de tous, défend tous les médecins quelle que soit leur appartenance syndicale ou professionnelle, établit des passerelles solides entre les corps du métier médical. Quels que soient les aléas de la vie ou de l’économie, notre vocation profonde n’a pas changé en quarante ans, elle est même plus forte que jamais. Médecins lecteurs, « le Quotidien » vous appartient.
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