Par Jeanne Mazabraud
Pas question de rentrer tout de suite à la maison. Geneviève s’accorde un temps mort. Un temps de mort ? Elle ne sait pas, elle ne réalise pas encore. Les choses sont allées trop vite : la consultation, la révélation du risque mortel livrée sans fard par Doc Gynéco, tellement plate qu’elle en paraît irréelle.
Certes elle avait entendu parler du papillomavirus, de ses risques, des recherches pour aboutir à un vaccin. Mais dans sa tête, le risque était pour les autres, particulièrement les très jeunes filles, plus exposées, plus fragiles, qui risquaient d’être contaminées lors des premiers rapports sexuels. Sans aucune logique cependant, Geneviève, inconsciemment, associait le cancer du col de l’utérus à un âge plus avancé. Juste avant la ménopause ou quelque chose d’approchant. En tout état de cause, elle n’avait jamais sérieusement pensé qu’elle-même courait un risque réel. La consultation annuelle chez Doc Gynéco ne se soldait-elle pas immanquablement par un RAS rassurant et, pensait-elle, logique ? Elle avait pris soin de se protéger à l’occasion de ses – rares – aventures sans lendemain. Avec ses partenaires au long cours, en revanche, il y avait toujours eu totale liberté. Le préservatif, avec Carolus, n’était qu’un prétexte occasionnel à leurs jeux amoureux. Avec Alex, la peau nue était de règle.
Elle marche sans but. Il fait chaud. Le début de l’été invite à la légèreté, au plaisir, au bonheur. Mais, abîmée dans ses pensées moroses, elle ne peut se sentir à l’unisson.
Le ronronnement sourd du portable annonce un SMS. Charles ! « Je t’attends, b… dressée, lieu habituel. » Elle efface le message, incapable de répondre. Pour qui se prend-il ? On ne la convoque pas. Et pourtant, n’est-ce pas l’occasion de savoir ?
Dernière hésitation au pied de l’immeuble. Pour la première fois, Carolus n’est plus l’amant qu’elle rejoint pour le plaisir, l’homme qu’elle aime aussi – aveu interdit sous peine de tout gâcher.
« Carolus, papillomavirus, ça rime », note-t-elle en un sursaut humoristique.
À peine franchie la porte du studio, il l’enlace, l’embrasse, la déshabille déjà. Lui murmure les obscénités codées qu’ils aiment en préliminaire à leurs étreintes. Geneviève flanche, ce serait si facile de se laisser aller, une fois encore – la dernière – aux gestes de l’amour (ils disent « de la baise », toute ressemblance même purement sémantique avec le langage amoureux est prohibée par leur contrat intime).
— Charles, je sors de ma consultation chez Doc Gynéco… Instinctivement il prend du recul, desserre son étreinte.
— Et… ? Ça va ?
Devant la perche tendue, Geneviève recule. Elle se souvient des angoisses de Charles au début de leur relation. La prenant pour ce qu’elle n’est pas, la femme aux dix, aux cent amants, il craignait la contamination. Pour lui. Un message de Geneviève « I am safe » avait été interprété « Je suis sale ». Il reste nul en anglais, en dépit des trois ans d’expatriation. Et son inconscient avait parlé à sa place. Ils en avaient bien ri alors.
Finalement, partagée entre émotion et envie de se libérer, elle lance :
— Non, ça ne va pas. J’ai peut-être un cancer. En dehors de ta femme, avec qui couches-tu ?
Interloqué, il hésite une fraction de seconde. « La fraction de trop », pense-t-elle.
— Mais… avec toi.
— Et une autre ? Ou plusieurs ?
— Ah non pas la scène de jalousie. Interdite par le contrat.
— Pas question de contrat. Le papillomavirus, ça te dit quelque chose ?
— Rien du tout. C’est un fruit exotique ?
Et il l’enlace sans plus attendre…
— Trop pressé, trop pressant pour être honnête, se dit Geneviève dans un accès de lucidité tardive.
Prochain épisode dans notre édition du 17 mars

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