Par Jeanne Mazabraud
— Tu en fais une tête ! Encore une dispute ? Il ne veut plus te voir ? Tu as décidé de le larguer ? Allez, dis-moi…
Sans répondre à Michèle, Geneviève se glisse sur la banquette. Ou plutôt s’y affale. Les deux copines se voient peu souvent, prises dans leur faisceau familial et professionnel. Aussi tiennent-elles particulièrement au rituel du déjeuner dit « du Doc Gynéco ». Geneviève, après son contrôle annuel de routine, retrouve Michèle aux Copains d'abord, vieille brasserie du centre où elles avaient leurs quartiers du temps de leur vie étudiante. Est-ce le rouge garance des banquettes ? La gouaille des garçons ? L’éternelle grimace de la caissière, surnommée « la matonne » par des générations de consommateurs ? L’effet jouvence est garanti : les deux amies se racontent amours et déconvenues, se défoulent sur ces « salauds » qui leur en font voir, mijotent des vengeances florentines et piquent des fous rires bienfaisants.
Aujourd’hui cependant, quelque chose cloche.
— Tu es toute pâle, s’inquiète Michèle, prompte à retrouver ses réflexes de médecin généraliste.
Geneviève se ressaisit et révèle que le contrôle gynécologique annuel a eu lieu il y a quelques semaines.
— Tu étais en vacances.
Au lieu de la lettre l’informant de la normalité des analyses, Geneviève a été vite convoquée par Doc Gynéco « pour une petite vérification ». Elle passe au récit de la consultation.
Elle est la patiente du Doc depuis près de quinze ans. Elle a accouché de ses deux enfants dans son service. C’est un homme calme, précis, peu chaleureux mais néanmoins humain. Et franc. Des qualités que Geneviève apprécie. En trois phrases il expose le problème (« le frottis révèle la présence de papillomavirus »), la cause (« votre ou vos partenaires vous ont infectée »), le risque (« cancer du col de l’utérus ») et, si ce risque est avéré, la solution (« une opération, limitée à la conisation. Si l’on s’y prend assez tôt pas d'ablation totale »). Mais avant tout, il faut procéder à un nouveau contrôle.
Tandis qu’elle se glisse dans les étriers et que le Doc procède, Geneviève passe la situation en revue. Donc la contamination est due à un partenaire. Mais d’où la tient-il ? D’une autre femme ?
— Oui. Décontractez-vous sinon je vais vous faire mal, rétorque le Doc. Une fois l’examen terminé et tandis que Geneviève se rhabille, il se livre à un topo sur la transmission des papillomavirus HPV de type 16 et de type 18, responsables de sept cancers de l’utérus sur dix. Les HPV 31, 33 et 35 sont moins nocifs. « La meilleure protection reste le préservatif », conclut-il.
Une fois le récit de Geneviève achevé, Michèle s’efforce d’apaiser son amie :
— Attends les résultats des nouvelles analyses. On ne chope pas un cancer à tous les coups. Les virus se nettoient souvent d’eux-mêmes.
— Formidable, le blanchiment automatique ! L’utérus version banque Suisse ?, ironise Geneviève.
Et soudain, mordante :
— Lequel des deux m’a fait le coup, hein, lequel ?
— Comment lequel des deux ? Tu n’en as pas plus de deux ?, tente Michèle pour alléger l’atmosphère.
Peine perdue. Geneviève oscille entre rage et désespoir :
— Si je meurs, je ne saurai même pas à qui la faute. Et si je ne meurs pas, ce sera pareil d’ailleurs. C’est dingue…
Soudain combative, la belle quadra avale son expresso brûlant, enfile sa veste et, entraînant son amie vers la sortie, lui chuchote :
— Quitte à crever, j’en aurai le cœur net. On va chez toi ? Je vais tout te raconter.
Nouvel épisode dans notre édition du 3 mars

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