Marcel a fini par atteindre la période critique de l'adolescence. Sa solitude n'a fait que croître, en même temps que l’impression de malaise générée par son visage. Ses sourcils se sont épaissis. Son regard, déjà insondable, s'en est trouvé un peu dissimulé. Sa mâchoire s'est modifiée sous l'effet de la révolution hormonale. Désormais plus lourde, sans aucune finesse, elle lui a donné l'air encore plus patibulaire. Sa tignasse hirsute, résistante au peigne, ne consentait toujours pas à rentrer dans le rang. Marcel avait presque renoncé à se battre contre ce qui ressemblait à une malédiction, laissant son corps emporter tout espoir d’apparaître sympathique. Il sortait peu. On le fuyait plus ou moins élégamment. Il n'était ni beau ni laid, juste de plus en plus inquiétant. Côté cœur, c'était une catastrophe. Aucune fille ne voulait prendre le risque de se retrouver seule avec lui. Le bruit courrait qu'il était pervers, que le nombre de ses victimes se comptait en dizaines et que la jeune Maryse, disparue inexplicablement depuis des mois, c'était lui. On n'avait trouvé aucune preuve mais il suffisait de croiser son regard pour s'en convaincre. Le souvenir douloureux du chat faussement disparu lui était alors revenu en mémoire. On lui prêtait décidément des intentions de plus en plus machiavéliques, et cela l'épouvantait. Comme le chat, la jeune fille était revenue indemne d'une fugue amoureuse avec un Dom Juan notoire, qui avait fini par se lasser d'elle.
En réalité, Marcel n'avait jamais fait de tort à personne. Ni végétal, ni animal, ni humain n'avait eu à se plaindre de lui. La vieille Alice, voisine impotente de la famille, bénéficiait même de ses bons services. Régulièrement, il lui ramenait du bois, coupé en bûches parfaitement égales. Marcel s'appliquait à en composer un tas impeccablement aligné. L'octogénaire compatissante avait compris toute la détresse du jeune homme même s'il ne s'était jamais vraiment confié à elle. Elle le consolait en lui offrant des litres de tisane et en le couvant de regards opacifiés par la cataracte. C'était déjà ça.
Dans ses périodes de solitude, le jeune homme regardait la télé. Il était quelquefois tombé sur des émissions traitant de chirurgie esthétique et avait été bluffé par les miracles que certains médecins pouvaient accomplir. Beaucoup avaient des doigts en or et transformaient des visages hideux en visages harmonieux. Lui, n'était pas hideux mais voulait débarrasser ses traits de leur voile anxiogène. Hélas, Marcel était toujours mineur et n'avait pas le courage de réclamer ni autorisation, ni argent à ses parents. Il devait patienter.
Un soir d'hiver particulièrement vide et sinistre, il s'est, une fois de plus, installé devant le petit écran. Allongé sur son lit, il a visionné un reportage sur la peine de mort toujours en vigueur dans certains états américains. Des prisonniers, accusés des pires crimes de sang, attendaient depuis des années qu'on les exécute. Ils ne connaissaient ni le jour, ni l'heure et certains clamaient encore leur innocence. Marcel trouva ce documentaire terrifiant, d'autant que la plupart des prisonniers possédaient la gueule de l'emploi. Ils avaient une tête d'assassin. Et Marcel leur ressemblait tant ! Quelque chose d'inexplicable transpirait de ces gens et de lui-même. Cela venait du tréfonds et ne pouvait pas vraiment se dire mais c'était là, bien trop accroché : quelque chose chez eux, chez lui, filait la chair de poule. Cette nuit-là, il ne put s'endormir.
Prochain épisode dans notre édition du 16 février
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