La vie de Marcel est un enfer. Il entre maintenant dans l’âge adulte, sans avoir décroché ni ami, ni petite amie, ni travail. Son visage, à lui tout seul, est un extrait de casier judiciaire chargé. Désespéré, il se souvient de ce documentaire entrevu à la télé un soir d'hiver. Un chirurgien-plasticien modifiait avec brio les traits vulgaires d'une femme sans grâce, la transformant en authentique pin-up. Elle avait rajeuni de vingt ans. Marcel se remémore l'émotion de la patiente lorsque le médecin avait déroulé lentement ses bandages. Elle avait eu du mal à se reconnaître et s'était mise à pleurer de gratitude et de bonheur.
Par chance, ce magicien exerce toujours et notre jeune homme n'a pas de mal à retrouver son luxueux cabinet.
Le jour du rendez-vous, Marcel se sent nerveux. Il n'a pas fermé l’œil de la nuit et deux sillons un peu trop marqués plongent de son nez jusqu'à sa bouche, lui donnant l'air encore plus amer que d'ordinaire. Dans la salle d'attente, quelques femmes d'un certain âge se raidissent à son entrée. Elles crispent leurs mains élégantes sur leur sac de marque. Mais Marcel n'a pas longtemps à attendre. La secrétaire vient déjà le chercher, le conduisant jusqu'au saint du saint. Le bureau du chirurgien est un salon élégant, moquetté de velours rouge. Des tableaux de maîtres toisent notre patient avec insolence. Marcel suit timidement le petit cul bien balancé de l'assistante, probablement retouché par l'homme de l'art. Justement, le grand ponte est là, trop souriant, exhibant généreusement deux rangées de dents incroyablement blanches. Il est sans âge, beau, bronzé, sophistiqué. Il fait signe à Marcel, l'invitant à s’asseoir sur le fauteuil Empire. Quelques minutes d'un silence lourd écrasent un peu plus Marcel dans son siège. Le médecin le dévisage avec insistance :
— Vous avez une tête d'assassin, diagnostique sans ambages notre chirurgien, sûr de lui.
— Oui, acquiesce Marcel totalement impressionné.
— Je peux faire quelque chose, rajoute le médecin. Il faut modifier la ligne des sourcils. Ils écrasent vos yeux. Pour cela, je procéderai à un léger lifting du front qui défroissera votre regard. Votre nez est trop épaté. Il faut l'affiner. Voulez-vous un petit nez en trompette ? Je peux aussi vous proposer deux pommettes qui relèveront l'aspect hypotonique de vos joues. Vos lèvres peuvent être plus ourlées, ce qui en redressera les commissures et vous donnera l'air plus pimpant. Je recollerai vos oreilles et aspirerai votre double menton. La ligne de votre mâchoire apparaîtra plus franche et engageante. Vous êtes un cas intéressant. Je parlerai pour vous de véritable tentative de métamorphose. Rien, dans votre visage, n'est vraiment abject, mais c'est bien la combinaison de vos traits qui vous afflige de cette gueule de serial killer. Une mauvaise blague de la nature en somme. Alors, quand s'y met-on ?
Marcel reste sans voix. La facilité avec laquelle le plasticien a cerné son cas lui donne le vertige.
— C'est cher ? bredouille-t-il.
— Écoutez, comme je n'ai pas besoin d'une énième piscine, je vous offre cette opération. Cela m'intéresse de débarrasser votre visage de ses caractéristiques criminelles. Les seins et les culottes de cheval me lassent un peu. J'ai besoin de challenge et pour tout dire, de rédemption.
Deux jours plus tard, Marcel est admis à la clinique. La chance frappe enfin à sa porte et lui-même ne parvient toujours pas à y croire. Dans la vie, on n'est décidément jamais à l'abri d'une bonne nouvelle !
Prochain épisode dans notre édition du 2 mars
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