Marcel est né avec une tête d'assassin. Ça arrive. Certains arborent d'emblée une gueule d'ange, une bouille d'amour ou une frimousse de poupon bien ronde, bien tendre mais quand bébé Marcel a pointé son nez entre les cuisses glabres de sa mère, les sages-femmes ont marqué un temps d’arrêt. Elles n'ont pas osé manifester leur surprise mais ont senti un frisson d'effroi leur parcourir l'échine. Non pas que Marcel ait été affreux ou difforme : c'est plutôt que son visage tout neuf a aussitôt déclenché un trouble diffus chez l'ensemble du personnel médical. On avait déjà envie de se méfier de lui. Il y avait quelque chose dans le regard qui ne pouvait s'expliquer : l’impression que le moutard était vieux et qu'il savait des choses… La moue du nourrisson tenait plus du rictus que du sourire. De qui se moquait-il déjà ? Ses sourcils étaient un peu trop présents et tout à fait figés. Il chouinait à peine et avait collé sa mèche noire et poisseuse sur le sein de sa mère qui ne s'était rendu compte de rien. Elle avait la vue brouillée par des larmes de fatigue et n'avait pas immédiatement ressenti cette gêne qui ne tarderait plus à l'envahir pour toujours.
Marcel est né avec une tête d'assassin. Et c'est une incongruité héréditaire puisque son père et sa mère sont beaux et lumineux. Ils se sont rencontrés chez les scouts. Quelques camps en forêt plus tard, ils ne se sont plus quittés, se sont mariés et ont fini par pondre Marcel. Avec un tel capital génétique, ni l'un ni l'autre ne s'est expliqué la tête de coupable de leur unique descendant. Pourtant, Marcel s'est avéré être un enfant doux et irréprochable. Son éducation n'a posé aucune difficulté. Le seul problème était la méfiance qu'il suscitait en permanence chez les autres. Dès qu'il entrait quelque part, l’atmosphère se tendait aussitôt. On ne pouvait s’empêcher de le surveiller du coin de l’œil. Les gens se tenaient sur leur garde. Il n'inspirait aucune confiance. On avait la sensation d'une menace imminente. Le visage de Marcel affichait, malgré lui, une potentielle capacité de nuisance.
Un jour, le gros chat noir du petit voisin a disparu. Les chats font ça parfois : ils se volatilisent. Plus aucune trace du matou obèse. Spontanément, Marcel a été soupçonné. Avec sa tête d'assassin, il avait dû régler son compte à ce pauvre félin sans défenses. C'est connu, tous les psychopathes démarrent leur odieuse carrière en torturant et dépiautant, griffes après griffes, de pauvres animaux croisant leur chemin. Marcel avait sans doute fait une misère inqualifiable à ce chat innocent. Notre garçon eut beau nier, jurer qu'il n'y était pour rien, personne ne le crût. Et même quand cet imbécile de matou est fièrement réapparu au bout d'une semaine, sans même avoir perdu un gramme, personne ne s'est excusé auprès de Marcel.
Pire : on s'est mis à croire qu'il l'avait au moins kidnappé et que des deux, la bête, c'était bien lui. Avec cette tête-là, il ne pouvait en être autrement.
À l'école, Marcel n'avait aucun ami, personne ne lui adressait la parole et il restait seul, au beau milieu de la cour de récré, les bras ballants – ce qui accentuait encore plus l'étrangeté de sa personne. Pourtant, Marcel aimait les autres et rêvait de tendresse et de partage. Il ne comprenait pas la stigmatisation dont il faisait l'objet. Parfois, lorsque ses parents étaient sortis, il se contemplait longuement dans un miroir, espérant surprendre ce je-ne-sais-quoi de troublant qui le séparait du reste du monde. Lui savait que son âme était pure et ne s'accordait absolument pas à sa satanée tête !
Prochain épisode dans notre édition du 9 février
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