#6 L’espoir envers et contre tout

Ce n’était pas Julien, mais l’ombre de Julien qui déambulait dans Paris. L’aéroport, le métro, tout lui paraissait si familier et si étranger à la fois, comme s’il s’était absenté des siècles, mais sans que rien n’eût changé pour autant. Avec un peu de concentration il parvint à se rappeler le trajet jusque chez son frère. Il avait eu du mal à quitter la Syrie, et quelques semaines avaient été nécessaires à son rapatriement.

Son doigt hésita quelques secondes avant de tomber sur la sonnette. Les retrouvailles furent mêlées de joie, de soulagement, et de la distance conventionnelle qui se place entre soi et ceux avec lesquels on n’a plus rien à partager.

– Pourquoi tu n’as pas prévenu ? On serait venus te chercher ! Comment vas-tu ?

– Où est Marie ?

Silence gêné. Laurent cherche des mots qui pourraient adoucir la vérité, l’envelopper dans une espèce de mousse réconfortante. Mais il n’y parvient pas, et va droit au but.

– C’est une tumeur au cerveau. Rien d’incurable pour l’instant, mais le temps joue contre elle.

– Où est-elle ? Je veux la voir.

– Elle a renoncé à se battre. Elle a dit qu’elle voulait marcher dans tes pas. Elle est repartie au Bénin, pour être utile avant de mourir ; ce sont ses mots.

L’escale de Julien aura été de courte durée. Dès le lendemain, il était dans l’avion qui le ramenait au Bénin. Au-dessus des nuages, il faisait le point sur sa vie. Son cheminement lui évoquait un de ces contes philosophiques dans lesquels le héros parcourt le monde entier pour s’apercevoir que le trésor qu’il cherche est enfoui sous son lit. Après avoir déjà tant perdu, il était peut-être sur le point de perdre son épouse, mais il venait de retrouver la femme qu’il aimait, celle qui partageait son amour pour l’humanité.

Le village n’avait pas changé. C’est un jeune garçon qu’il ne reconnut pas qui l’accueillit au centre médical, avant de s’éloigner en criant :

– Mazidath ! Julien est revenu ! L’instant d’après, l’infirmière était là, les traits tirés mais le sourire lumineux.

– Julien ! Te voilà revenu ! Tu arrives à temps, Marie vient d’être hospitalisée. C’est pour elle que tu es là, n’est-ce pas ?

Puis, s’adressant au jeune garçon :

– Ismaël, conduis-le auprès de Marie.

– C’est Ismaël ? Je ne l’avais pas reconnu.

– Oui, il nous aide. Il veut devenir médecin. Tu as suscité des vocations, tu sais.

Le jeune homme conduisit le médecin dans la chambre.

Marie était belle. Allongée entre des draps blancs qui lui faisaient comme un linceul, elle avait l’expression sereine de ceux qui attendent la mort la conscience légère. Quand elle vit Julien, elle crut à une hallucination.

– Non Marie, c’est bien moi, je suis là. Je suis venu te chercher. J’ai eu une illumination, tu sais.

La jeune femme riait à travers ses larmes. L’espoir renaissait doucement ; après tout c’était peut-être vrai que Julien avait un pouvoir, qu’il portait en lui une vie contagieuse et métastatique.

– Une illumination ? Tiens donc !

– Oui. J’ai réfléchi à ce que je ferais si j’avais le choix de sauver une seule personne au monde.

– Personne ne te demande de faire ce choix.

– Et tu crois que j’attends les ordres de quiconque ? Mon choix est fait : nous retournons en France, et nous allons te soigner. Même si tu dois être la dernière personne que je soignerai de toute ma vie. Et puis nous songerons à nous, nous aurons des enfants, à un euro pièce la dent de lait sous l’oreiller, et au sourire inestimable. Et dans mille ans, qui sait, ils seront des millions à avoir été nos fils.

Avec la collaboration de   
 

Une prochaine histoire courte… à la rentrée de septembre