Un Problème Royal

#4 Ceux Qui Traversent

Publié le 26/10/2017
Article réservé aux abonnés

La barge glisse sans bruits sur les eaux calmes de la rivière, le clapotis des vagues l’accompagnant comme un murmure. La cité d’Onou n’est déjà plus qu’une ombre derrière eux dans le lointain. Un silence lourd règne sur la barge, à peine perturbé par le souffle léger de la déesse endormie, des volutes noires de fumée s’échappant de ses naseaux.

— J’ai déjà commencé l’examen physique, dit Imhotep en déployant plusieurs papyri devant Senedj, mais je t’attendais pour le diagnostic.

Senedj se penche sur les dessins. On y voit l’anatomie assez détaillée d’un corps humain, où figurent une quarantaine de points correspondant à autant d’affections médicales.

— Quels sont les symptômes ?

— Nausées, douleurs gastriques, difficulté à déglutir… Elle ne peut plus rien avaler que cette bière rouge que nous lui disons être du sang. Elle ignore comment ça a pu lui arriver. Elle s’est réveillée un matin, et les douleurs étaient là.

Senedj s’approche de la déesse et ôte la longue tunique rouge qui la recouvre. Son corps est impressionnant, sculptural, couvert de cicatrices dessinant des hiéroglyphes qui racontent ses batailles.

— Vous avez essayé de lui donner des médicaments ?

— Lait de vache, grains et miel. Réduits en purée, tamisés et cuits. Excellents pour les troubles gastriques. J’y ai rajouté des orteils de chiens, de la poussière de statues et le suc du pavot somnifère. Ce sont ces derniers qui l’endorment et réveillent le mal. Tu vas voir.

Imhotep s’approche, prend les pilules sur la table et les fait avaler à Sekhmet, massant sa gorge pour qu’elle déglutisse. La déesse grogne, s’agite… Et soudain, son ventre se met à grouiller, comme si ses intestins avaient pris vie et se tortillaient comme des serpents !

— Il faut opérer ! dit Senedj paniqué. Nous devons voir ce qu’elle a dans le ventre !

— C’est inutile, dit le sage en montrant les bistouris de métal cuivreux brisés, tordus ou fondus. Aucun outil terrestre ne peut blesser une déesse ! Et de plus…

— On ne touche pas à mon ventre ! l’interrompt Sekhmet, fulminante, se redressant sur le lit et faisant hurler de terreur Senedj.

Mais ce n’est pas Sekhmet qui a parlé. La déesse n’a maintenant plus une tête de lionne… mais une tête de chatte, souriante, aux yeux verts pailletés d’or, un sistre à la main.

— Bastet ? murmure Imhotep.

Bastet ronronne en posant la main sur son ventre grouillant.

— Qu’est-ce qu’il se passe encore ? balbutie Senedj.

— Sekhmet a deux formes, répond rapidement Imhotep, et les deux cohabitent : Bastet l’Ingénue et Sekhmet la Guerrière, mais jusqu’à présent Bastet ne s’était jamais révélée à nous, nous ne communiquions qu’avec Sekhmet, ce doit être ta présence qui…

— Je n’ai pas besoin de vos soins, mortels ! minaude Bastet d’une voix étrange, mélange des deux facettes de la Déesse, l’une chuchotante, l’autre grondante. Celui qui grouille est à moi ! Si Sekhmet la Puissante a peur, Bastet l’Ingénue est fière de sa proie ! Je l’ai chassée et je l’ai attrapée, et je la digérerai tout entière, de la tête à la queue ! Hahaha !

— Bastet, attends ! hurle Imhotep.

Mais Bastet n’attend pas. Dans un dernier sursaut, la déesse double s’effondre sur la table, vaincue par les drogues, le ventre grouillant de sa mystérieuse proie. Imhotep et Senedj se regardent, interdits, tandis que la barge continue son voyage sur les eaux noires de la rivière des morts, accompagnée par moments de pâles fantômes qui s’accrochent à son étrave.

Prochain épisode dans notre édition du 2 novembre

 

Avec la collaboration de   logo-fond-gris-2000_1.png 





Par Tanguy Le Berre

Source : Le Quotidien du médecin: 9613