Un problème royal

#1 Celui Qui Vient En Paix

Publié le 05/10/2017
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« Senedj du futur ! J’ai besoin de toi ! »

Senedj, jeune chirurgien récemment diplômé, cligna des yeux sous le soleil laiteux d’Afrique. Avait-il rêvé, ou la statue venait-elle vraiment de parler ?

— Paul, tu as vu ça ? dit-il en se retournant, on dirait que la statue vient de…

Mais il n’y avait personne d’autre dans le temple d’Aîn-ech-Chams. Il était seul entre les pierres brûlantes et les statues immobiles. Les vents du Nil lui portaient les rires moqueurs des mouettes, quelques grappes de touristes s’émiettaient à l’horizon, les dunes dansaient dans la chaleur du désert. Et devant lui, la statue de grès blanc d’un sage antique dont il ignorait le nom.

— Senedj du futur ! J’ai besoin de toi !

De nouveau, la voix retentit ! La statue ! Ses lèvres ont bougé ! Un mouvement dans son dos, quelqu’un approche.

— Paul ! dit-il sans quitter des yeux la statue. La statue a bougé, elle m’a parlé ! dit-il en se retournant. Elle m’a…

Mais ce n’est pas Paul derrière lui. Dans la lumière crue du désert se découpent les silhouettes de trois guerriers musclés, vêtus d’un simple pagne, armes au clair, l’air sceptique.

— C’est bien lui, capitaine ? demande l’un d’eux.

— Pas de doute, répond un autre, vois les étranges vêtements qu’il porte !

Pointant sa lance sur Senedj, il crie :

— Toi ! Le maigrelet, suis-nous : Pharaon ton Dieu te l’ordonne !

« C’est impossible, impossible… » ne cesse de se répéter Senedj en titubant dans le sable. Tout autour de lui, s’élèvent toujours les murs d’Aîn-ech-Chams, sauf que ce n’est plus Aîn-ech-Chams : les gens qu’il croise, les gardes qui l’emmènent, tous, tous sont étrangers, barbares, mystérieux ! Qui sont-ils ? Quels sont ces vêtements, cette langue qu’ils parlent et que – mystère des mystères ! – Senedj comprend ?

— Avance, par le chien ! N’as-tu jamais vu ville comme Onou ? vocifère un garde en le bousculant.

Senedj ne peut s’empêcher d’observer ce qui l’entoure l’air émerveillé ! « Impossible… » continue-t-il à murmurer.

Dans cette ville nommée Onou, tout n’est que voilures et parures ! Hauts murs de terre cuite, blanchis à la chaux et couverts de peintures et motifs colorés, habitants en tuniques, robes jupons de mousseline plissée, regard sombre et profond sous leurs yeux ourlés de khôl, ongles et lèvres noirs, crânes rasés, perruques pour certains, simple mèche pour les plus jeunes, déambulant dans des effluves de parfums enivrants, sous les couleurs gaies de chapeaux d’étoffe à rayures… Là des prêtres en robe sacerdotale en peau de léopard ; ici, prostitués, mendiants presque nus, se figeant tous à son passage, et rendant à Senedj des regards pas moins étonnés. Les marchands arrêtent leurs marchandages, les prêtres leurs sermons, les enfants s’amassent derrière lui en troupeau chaotique bien vite dispersé par les gardes. Certains hommes détournent les yeux, crachent par terre, d’autres touchent de lourdes idoles, colifichets de lapis-lazuli et cornaline qu’ils portent au cou… Quelques marchands étrangers les regardent également : Grecs aux barbes ondulées sur de grands chitons blancs, Chinois aux fronts rasés et au long toupet…

On le pousse soudain sur les marches d’un grand palais. Il titube, traverse des couloirs noyés d’ombre et des odeurs entêtantes de l’encens et du camphre, et le voici face à un immense trône d’or… alors qu’un coup reçu dans les genoux l’amène brutalement au sol.

— Voici devant toi ton Dieu, Pharaon, le plus puissant des Hommes ! Et tu es ici pour le servir, Senedj du futur !

 

Prochain épisode dans notre édition du 12 octobre


Avec la collaboration de   logo-fond-gris-2000_1.png




Par Tanguy Le Berre

Source : Le Quotidien du médecin: 9607