Raz-de-marée du numérique et des réseaux sociaux, familles recomposées, surabondance alimentaire, les enfants d’aujourd’hui vivent dans un environnement fortement façonné par la technologie et la modernité. Dans le même temps, le retour au naturel et la méfiance trouvent de plus en plus d’écho, notamment auprès des jeunes parents. Vaccination, alimentation, contraception, obésité, etc. : comment ces tendances de notre époque influencent-elles la santé des jeunes d’aujourd’hui et des adultes de demain ?
Ils ne risquent a priori plus la tuberculose, ni la polio. Si leurs parents se plient aux vaccins obligatoires, ils échapperont probablement aux oreillons ou à la rougeole. « Épargnés des maladies infectieuses, les enfants d’aujourd’hui vont globalement plutôt pas trop mal », résume le Dr Olivier Puel, pédiatre endocrinologue à Bordeaux et fondateur de l’Afpel (Association française des pédiatres endocrinologues libéraux). L’objectif est désormais moins de leur faire gagner en espérance de vie que de « s’assurer d’avoir demain des adultes en bonne santé », souligne le Dr Brigitte Virey, présidente du syndicat national des pédiatres français. Cela implique d’être vigilant face « à de nouvelles pathologies, où ce qui prédomine relève essentiellement… de la surabondance », précise le Dr Puel. Diabète, obésité, maladies cardiovasculaires : autant d’affections chroniques dont on sait aujourd’hui qu’elles s’ancrent bien plus tôt dans la vie.
Le suivi des enfants chahuté
Premier défi : convaincre les parents de la nécessité d’un suivi au long cours qui ne se borne pas à venir en septembre arracher un certificat, mais se traduise par une vraie consultation régulière, même si tout va bien en apparence ! Poids, taille, sommeil, comportements social et scolaire : « en dehors des problèmes médicaux immédiatement visibles, il faut surveiller le développement global de l’enfant », rappelle le Dr Virey. Jusqu’à deux ans, les parents se plient volontiers aux contrôles périodiques. « Entre vaccination et alimentation, c’est assez facile », souligne le Dr Puel. Mais ensuite, gare au relâchement. « Certains continuent à venir une fois par an jusqu’aux 16 ou 18 ans de l’enfant, généralement les familles plus favorisées », observe Brigitte Virey, déplorant que le système de santé ne prévoie et rembourse aujourd’hui des visites obligatoires que jusqu’à six ans. Leurs effectifs décimés, médecine scolaire et PMI n’assurent plus la surveillance généralisée. « Le suivi, qui s’appuyait sur deux visites, en maternelle puis primaire, est devenu quasi inexistant et se limite à un dépistage visuel, éventuellement audio », énumère le Dr Virey.
Résultat : rien ne garantit que les enfants ne passent pas entre les mailles du filet sanitaire. Particulièrement ceux qui vivent dans un milieu social défavorisé et/ou familial décomposé qui exigerait au contraire de s’assurer d’un développement harmonieux. Leur part est loin d’être anecdotique. L’Unicef estime qu’un enfant sur cinq vit en dessous du seuil de pauvreté en France. Selon un rapport du Haut conseil à la famille d’avril 2014, plus de 350 000 couples, dont la moitié avec enfants, se défont chaque année. Si la santé des enfants n’est alors pas la principale préoccupation de parents en guerre ou préoccupées par les soucis matériels liés à leur nouvelle vie (18 % des enfants vivent dans une famille monoparentale), de nombreux travaux scientifiques ont observé que les ressentis de stress familial et de déchirement peuvent à eux seuls « conduire à une plus grande vulnérabilité aux troubles psychologiques, aux dépressions ainsi qu’aux maladies chroniques, 20 à 40 ans plus tard », pointe le conseil économique social et environnemental (CESE) dans un avis rendu fin 2017 sur « les conséquences des séparations parentales ».
« Sitting is the new smoking »
Pour tous les enfants, les modes de vie actuels n’aident pas forcément à un développement équilibré, si l’on n’y prend pas garde. Au rayon alimentation, « l’allaitement reste compliqué pour les mères », note Brigitte Virey. Malgré de bonnes recommandations théoriques, la France stagne loin des préconisations de l’OMS (allaitement exclusif jusqu’à six mois et poursuivi en parallèle de la diversification jusqu’à deux ans).
L’enfant grandissant, la surveillance du poids et de sa courbe de croissance demeure d’actualité, tandis que la société se partage entre retours à la nature parfois excessifs, « avec des cas constatés de carences nutritionnelles liés à des régimes végétariens » et ultra-consommation, avec plats tout prêts aux scores nutritionnels calamiteux (lire p. 18). L’étude Esteban menée par Santé publique France dévoilée en juin 2017 montre que la tendance au surpoids chez les 6-17 ans est restée stable entre 2006 et 2015. Mais 17 % de cette tranche d’âge en souffre et parmi eux, 4 % sont obèses. « Outre la spirale de désocialisation que cela provoque, aborder l’âge adulte obèse, c’est non seulement y arriver avec un risque cardiaque et de diabète accru, mais aussi de gros problèmes de squelette », rappelle le Dr Virey.Le risque métabolique se trouve en outre accru par l’absence croissante d’activité physique. L’OMS en recommande 60 minutes par jour de 5 à 17 ans. Seul un petit Français sur deux s’y plierait. Selon le panorama de santé 2016 de l’OCDE, on atteint le pire à 15 ans : seuls 14 % des garçons et 6 % des filles exercent une activité modérée à intense tous les jours. Professeur de cardiologie au CHU de Rennes, François Carré mène la guerre à cet excès de sédentarité. « Sitting is the new smoking ! Les Anglais ont trouvé la formule choc pour alerter sur ce risque », plaidet- il devant des données « globalement inquiétantes ». Une étude mondiale menée par des chercheurs australiens et américains révélait il y a cinq ans que la capacité physique des adolescents français a diminué de 25 % entre 1971 et 2001 : « Un collégien mettait trois minutes pour courir 800 m, il lui en faut désormais quatre, détaille le cardiologue. Récemment, un professeur d’EPS me confiait que depuis cinq ans, au collège, il ne fait plus d’éducation physique mais de la psychomotricité : les gamins ne savent plus sauter à cloche-pied ou à la corde ! C’est ennuyeux. Si l’on considère l’évolution de la condition physique chez un sujet donné, elle augmente en principe jusqu’à vingt ans, puis commence à baisser après 30 et c’est normal. Si l’on démarre enfant avec une condition inférieure, la chute sera plus rapide », prévient le cardiologue. « L’âge moyen d’un enfant en poussette est aujourd’hui de quatre ans. Si déjà il ne bouge pas, il bougera progressivement encore moins. C’est un cercle vicieux. » L’activité physique est bonne « pour tout enfant », insiste le spécialise. En bonne santé comme malade, en l’adaptant si nécessaire à son état. Ce n’est pas elle qui mettra la scolarité en péril non plus : « Toutes les études montrent que ceux qui pratiquent une activité sportive sont aussi ceux qui ont les meilleurs résultats scolaires », conclut le Pr Carré.
DES PETITS CHANGEMENTS PAS SI ANODINS
« Si le regard des épidémiologistes se fixe aujourd’hui sur tous les changements comportementaux et environnementaux susceptibles d’infléchir le développement des enfants, c’est parce que l’on sait qu’un petit changement, au départ sans conséquences, peut annoncer l’émergence de nouvelles pathologies », explique Marie-Aline Charles, qui dirige l’unité mixte Ined Inserm chargée de la mise en oeuvre de l’étude Elfe. À propos de l’obésité, personne ne voit de mal à ce qu’un bébé soit beaucoup plus joufflu qu’il y a 15 ans. En réalité, à partir de l’après-guerre, l’IMC moyen des enfants a progressivement augmenté. Tout en restant dans les limites du non-pathologique, c’était un petit signe qui annonçait l’épidémie d’obésité qui s’est déclarée à l’âge adulte. De la même façon, on peut considérer qu’une faible augmentation de la pression artérielle qui serait constatée chez les enfants – sans du tout mettre leur vie en danger aujourd’hui – peut préfigurer des pathologies quand cette génération arrivera à 50-60 ans. On peut aussi interférer sur la période in utero et lors des premières années de vie. Même si l’on sait que le contexte environnemental interagit sans doute avec une part génétique, c’est aussi sur lui que l’on dispose de leviers d’actions. « De simples changements comportementaux et environnementaux suffisent à infléchir le développement de l’enfant. Dans un sens comme dans l’autre. »
Écran total
Si les enfants ont développé une inquiétante paresse physique, l’école, qui leur intime de rester assis, et les parents pressés par le temps ne sont pas seuls fautifs. Ils doivent composer avec un concurrent redoutable : les écrans. « On en comptabilise 11 par foyer, selon l’étude Pelleas, menée en Île-de-France en collaboration avec l'OFDT », indique le Pr Olivier Phan, pédopsychiatre addictologue, responsable de la consultation jeune consommateur au centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie Pierre-Nicole de la Croix Rouge à Paris. Et selon une étude réalisée par l’Inserm sur la cohorte Elfe, ils sont en contact avec les enfants dès 18 mois. Ils ont remplacé le temps passé à jouer dehors et contribuent à grignoter les nuits réparatrices. Selon les spécialistes, les adolescents ont perdu 1 h 30 de sommeil en 30 ans. Depuis dix ans, une baisse (20 minutes en moyenne) s’observe également chez les 5-10 ans.
Les écrans « ouvrent trop souvent la porte à une pratique excessive via l’usage problématique des jeux vidéo », prévient le pédopsychiatre. Après le cannabis dans les années 1990, aujourd’hui encore expérimenté par un adolescent sur deux à 17 ans et l’alcool, associé au binge-drinking et problématique entre 17 et 21 ans, « il faut composer depuis dix ans avec un nouveau risque, bien plus préoccupant parce que 100 % des enfants sont en contact avec lui dès l’âge de 10 ans : les jeux vidéo ». Ils ne doivent pas être diabolisés en eux-mêmes. « Jouer fait partie du bon développement de l’enfant et de l’adolescent », rassure le Dr Phan. Mais Internet a révolutionné les choses. « Une fois la connexion créée, l’enfant a un accès direct à une activité ludique et un espace virtuel illimité où il a des amis, des activités, des échanges et surtout un espace personnel et une tribune lui offrant une véritable existence virtuelle. Il y a une e-reputation à tenir. » Ainsi harponnés, « les adolescents les plus fragiles, les plus sensibles à l’image qu’ils renvoient à travers leurs avatars tomberont dans le panneau ». L’usage problématique des jeux vidéo comme les autres addictions « s’ancre toujours sur une fragilité intrinsèque ». Pour ce risque comme tous les autres, c’est dans les familles les plus en souffrance et chez les enfants présentant des vulnérabilités que l’intervention sociale et sanitaire est nécessaire.
DES PUBERTÉS AVANCÉES
Est-ce l’influence des perturbateurs endocriniens ? Si l’âge moyen d’apparition des premières règles, autour de 13 ans, « n’a pour l’instant pas évolué, on a le sentiment de voir de plus en plus de pubertés, non pas précoces (l’âge de la puberté précoce est fixé à huit ans pour les filles, neuf pour les garçons, NDLR), mais avancée, autour de neuf ans », confie le Dr Olivier Puel. Le lien avec les perturbateurs endocriniens est fortement suggéré, sans que l’on puisse pour l’instant formellement l’affirmer. Dans ce contexte, certains signes comme une courbe de croissance qui explose autour de huit-neuf ans chez la fillette doivent être surveillés attentivement, en invitant les parents à guetter l’éventuelle apparition de poils pubiens ou poussées mammaires. Des signaux d’alarme qui devront déclencher des mesures – agir sur le surpoids si besoin – voire des traitements, afin de bloquer une puberté trop précoce.