Le Généraliste. Quelles sont les causes du sur-diagnostic et de la prescription abusive d’examens médicaux en France ?
Pr Didier Sicard*. La première raison vient de la disparition de l’examen clinique. Les médecins ne savent plus examiner leurs patients. Un exemple : pour le dépistage du cancer du sein, la mammographie ne sert à rien chez une femme de 70 ans. La palpation suffit, mais cet examen se perd. Une deuxième raison tient à la demande du malade, issue de ses recherches sur Internet et devenue très contraignante pour le praticien. Une troisième raison est le sentiment irrationnel du médecin que la justice pourra lui demander des comptes. Or je ne connais pas un seul cas de médecin poursuivi pour avoir dit qu’un examen était inutile, compte tenu des éléments à sa disposition ! Une dernière raison vient de la facilité du remboursement par l’Assurance Maladie, sans aucune évaluation de la pertinence des examens réalisés.
D’où vient le retard français sur les pays anglo-saxons ?
Pr D. S. Historiquement, les médecins français n’ont jamais supporté la remise en cause de leur liberté de prescription, de leur jugement et de leur finalité d’apporter les meilleurs soins. Les diagnostics, les traitements qu’ils prescrivent l’emportent sur toute considération économique. Ils se considèrent comme des personnes privées qui n’ont pas de mission de santé publique.
Les choses ne changent-elles pas, notamment sous l’impulsion de médecins généralistes ?
Pr D. S. Compte-tenu de l’étendue de leur champ d’action, les généralistes sont souvent plus conscients de l’importance de ces questions. Mais les médecins engagés dans cette réflexion sont assez isolés. Les jeunes générations feront peut-être bouger les lignes. Changer les mauvaises habitudes reste cependant difficile, d’autant que la formation permanente n’est pas le fer de lance de la médecine française...
Pour limiter le risque de surdiagnostics, que peut faire le médecin ?
Pr D. S. Une médecine qui réfléchit est une médecine sobre, qui veut devenir plus efficace et source de moins de complications. Trois leviers majeurs pourraient favoriser cette démarche. Donner toute sa place à l’examen clinique, même si ce n’est pas facile, les patients eux-mêmes étant assez réticents à cet examen clinique. Apprendre à refuser une demande non justifiée d’examen biologique ou d’imagerie : paradoxalement, un médecin est alors plus respecté. Et ne pas se précipiter pour prescrire un tel examen.
Que pensez-vous de la création de normes en médecine ?
Pr D. S. Le problème de la médecine normative était déjà dénoncé par Georges Canguilhem [médecin et philosophe français] il y a 70 ans ! Selon lui, le normal, c’est la capacité à garder le plus possible une liberté de mouvements la plus grande possible. Ce n’est pas présenter tel ou tel chiffre normatif...
Les autorités sanitaires vont-elles prendre en compte ce problème ?
Pr D. S. Non, par peur de faire peur aux Français ! Le sujet reste tabou. Un ministère de la Santé courageux pourrait pourtant réaliser 5 à 10 milliards d’économies sur les examens et les médicaments inutiles, les transports médicaux... Je plaiderais aussi pour des médecins à la fois mieux rémunérés et payés selon leur discernement. Malgré quelques tentatives maladroites dans ce sens, les médecins français restent encouragés à prescrire des examens et des médicaments, plutôt qu’à examiner et à écouter leurs patients. Pour des consultations longues, il faudrait les autoriser à augmenter leurs honoraires : un médecin qui écoute est souvent plus utile qu’un médecin qui prescrit. Je plaiderais aussi pour un accès aux données de santé publique qui pourrait permettre aux médecins d’ajuster leurs pratiques.
Vous regrettez que la médecine contemporaine soit guidée par le marché...
Pr D. S. Les malades ont délégué leur santé à l’expertise médicale technologique et les médecins ont délégué cette expertise au marché des industriels. Le dépistage, le diagnostic font tourner l’économie. En revanche, la prévention est coûteuse : la France reste l’un des pays développés au monde où l’on fait le moins de prévention. La santé est devenue une donnée économique et non plus médicale : mais si tel est le cas, il faut le dire...
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