LE QUOTIDIEN : En tant que spécialiste du dialogue collaboratif, pourquoi vous êtes-vous intéressé au secteur de la santé ?
GILLES-LAURENT RAYSSAC : Nous intervenons rarement dans le domaine de la santé alors que j'ai la conviction que c'est un secteur où le manque de dialogue est considérable. Défaut de communication entre médecins et patients, entre soignants eux-mêmes mais aussi avec les administrations de la santé – ARS ou Sécurité sociale. Bref, c'est un monde où le savoir est immense mais qui ne donne pas lieu à des échanges très fructueux entre les parties. Or, pendant cette crise du Covid, on a senti qu'il se passait quelque chose de neuf : davantage de concertation et de collaboration. Nous avons voulu creuser cette problématique car il s'agit peut-être d'un élan nouveau !
Avez-vous été surpris par certains résultats ?
Nous avons eu plusieurs confirmations, et d'abord le fait que les médecins ne sont pas contents de cette séquence. Ils portent un regard négatif sur la gestion de cet événement – surtout avant le confinement – même si certains messages des autorités ont pu les aider vis-à-vis de leurs patients pendant le confinement. Ils ont été marqués personnellement par le manque d'équipements, de médicaments, de tests… et de soutien des institutions. Finalement, cette enquête montre à quel point cette crise a été pour eux un séisme personnel.
61 % des médecins déclarent que leurs conditions de travail pendant la crise n'ont pas été satisfaisantes…
Cela reflète l'ampleur de leurs difficultés, matérielles d'abord, mais aussi psychologiques – l'incertitude, le sentiment d'inutilité parfois, l'anxiété face au virus, l'isolement… L'enquête révèle que 32 % d'entre eux ont eu peur de craquer ! Les médecins ont été, soit sur la brèche de façon très brutale et épuisante, soit parfois privés d'activité… Ils ont eu la trouille, ils ont été démunis. N'oublions pas que beaucoup de médecins notamment généralistes ont été contaminés. Si l'on ajoute le manque de protections individuelles, cela a créé un climat anxiogène.
Cette crise change-t-elle la perception même de leur métier par les médecins ?
Une écrasante majorité d'entre eux confient que la pandémie a modifié leur exercice et transformé leur pratique. Mais parallèlement, quand on regarde les réponses libres, plus qualitatives, ils craignent déjà que les choses reviennent comme avant, en pire…
Leur jugement sur la gestion de l'épidémie – « tardive », « catastrophique », « incompétente » – est sévère. Comment l'expliquez-vous ?
Sur ce point, il faut regarder la méthode : on a demandé aux médecins de qualifier en trois mots seulement la gestion de la pandémie par les autorités. Il y a un côté défouloir. Par exemple, les libéraux dénoncent une communication et une gestion « hospitalocentrée ». Ils ont parfois rencontré des difficultés dans leur quotidien qui n'étaient pas moins grandes que dans les services de réanimation. Si on regarde l'ensemble du questionnaire, on a ce ressenti négatif, voire très négatif, mais, malgré tout, on s'aperçoit qu'il y a aussi des messages positifs.
Côté positif, il y a le renforcement des relations entre les différents acteurs de la santé. Est-ce une évolution durable ?
La transformation des relations humaines au sein du système de santé est saluée à plusieurs titres : cela concerne la coopération des médecins avec les autres soignants paramédicaux, avec le secteur associatif ou avec les mairies, mais aussi entre les secteurs public et privé. Mais attention : à chaque fois, une partie du panel craint que cela ne dure pas. Dans les commentaires, certains préviennent : les guerres antérieures n'ont pas disparu. C'est là où il est possible de tirer les leçons : la crise a révélé des opportunités, a démontré dans l'urgence qu'il était possible de mieux dialoguer, faisons en sorte que cela soit durable.
Autre enseignement de l'enquête : la volonté d'autonomie des médecins. Elle s'exprime d'autant plus que le monde de l'entreprise, lui, est en train de reconnaître davantage cette autonomie. Cette question va devenir centrale, tout comme celle des usages numériques. La télémédecine, c'est comme le télétravail : il fallait d'abord apporter la preuve que c'était possible.
Les critiques couplées à l'envie de changement rendent-ils encore plus nécessaire la réussite d'une réforme de la santé plus collaborative ?
C'est certain. Le gouvernement devra stimuler cette capacité d'écoute et de dialogue, en s'appuyant sur les territoires de santé. Les médecins et les soignants apprennent des quantités de choses mais pas forcément la façon de bien dialoguer. Historiquement, notre système a été construit en silos et avec des hiérarchies verticales. Et dans le monde médical, il existe nombre de « sachants » qui doivent apprendre à discuter avec d'autres gens qui n'ont pas la même expertise – les patients, les aidants, les élus – mais qui pourtant peuvent les aider à avancer !
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