La consommation de benzodiazépines constitue un problème majeur chez les usagers de drogue. Une étude rétrospective, sur un échantillon de 575 patients recrutés à partir de différentes études (Methadose et PHCR 2010 Psychocoke), a été réalisée par la Dr Vanessa Block (Paris). Son objectif était de caractériser les facteurs de sévérité addictologique associés à la dépendance aux benzodiazépines : usage intraveineux, polydépendance, retard au traitement de la dépendance aux opiacés, comorbidité psychiatrique, etc.
L’âge moyen des patients était de 39 ans, 23 % étaient des femmes et 30 % avaient déjà été SDF. 58,2 % étaient dépendants à l’alcool, 76,7 % à la cocaïne, 61,4 % au cannabis et 59,8 % aux opiacés. La moitié avaient eu au moins trois diagnostics de dépendance au cours de leur vie et 30 % avaient déjà fait une tentative de suicide.
Il apparaît que la dépendance aux opiacés survient plus tôt, mais qu’elle est traitée plus tard que celle aux benzodiazépines. L’analyse des données montre aussi que la dépendance aux benzodiazépines est associée à une sévérité psychiatrique et addictologique accrue. En revanche, elle n’est pas associée à l’utilisation IV de cocaïne et d’opiacés, ni aux overdoses.
La prescription de benzodiazépines doit donc être bien mesurée chez ces patients à risque.
Un mésusage deux fois plus fréquent
La population psychiatrique est particulièrement exposée aux benzodiazépines : leur usage est élevé en ambulatoire (de 25 à 79 % selon les études) ainsi qu’en hospitalisation (de 80 à 90 %). Leur efficacité n’est pas démontrée au long cours sur la plupart des troubles psychiatriques. Plusieurs études ont suggéré des associations entre l’utilisation des benzodiazépines et l’augmentation de la sédation, l’aggravation de la symptomatologie dépressive, la désinhibition (anxiété, agressivité) ou encore le risque suicidaire, voire une augmentation de la mortalité…
Malgré l’utilisation courante des benzodiazépines, les études manquent pour documenter le mésusage : en population générale se situe-t-il majoritairement chez les patients présentant des troubles psychiatriques ? Est-il nécessaire d’envisager des recommandations spécifiques dans cette population ?
Pour répondre à ces questions, une cohorte de patients nouveaux utilisateurs de benzodiazépines (source EGB entre 2007 et 2014) a été analysée sur 2 ans. Différents sous-groupes (non mutuellement exclusifs) de patients ont été constitués en fonction de leur pathologie : pathologies psychiatriques, maladies cardiovasculaires, diabète, cancers (prostate, sein, poumon, colon), maladies inflammatoires chroniques et sans ALD. Les critères de mésusage étaient les suivants : une durée d’utilisation plus longue que les durées recommandées (28 jours pour les hypnotiques, 84 jours pour les anxiolytiques), une utilisation d’une benzodiazépine à demi-vie longue chez le sujet âgé d’au moins 75 ans ou d’au moins 65 ans et polypathologique et une utilisation de plusieurs benzodiazépines concomitamment.
Les données recueillies mettent en évidence un risque de mésusage élevé dans toutes les pathologies, mais en particulier dans les pathologies psychiatriques (multiplié par deux). Il existe un potentiel gradient lié au risque vital perçu : le mésusage est supérieur en cas de cancers et de maladies cardio-vasculaires qu’en cas de diabète et de maladies inflammatoires.
Une deuxième étude a été menée afin d’évaluer la prévalence du mésusage sur des dossiers patients admis en hôpital psychiatrique (Centre Hospitalier Charles Perrens, Bordeaux) en février et juin 2016. Les résultats montrent que le mésusage reste fréquent à l’hôpital, même s’il est diminué par rapport à la population ambulatoire. Mais, la réduction ou l’arrêt des benzodiazépines, pendant un séjour hospitalier était possible chez la plupart des patients (78 %) avant la sortie définitive. « Il ne semble donc pas nécessaire d’envisager des recommandations spécifiques dans cette population : la problématique est la même qu’en population générale (banalisation par les prescripteurs et les usagers), même si les indications sont plus fréquentes et les patients plus vulnérables aux risques », a conclu la Pr Marie Tournier (Bordeaux).
Communications des Drs Vanessa Bloch (Paris) et Marie Tournier (Bordeaux) lors de la session « Benzodiazépines : de la pertinence aux risques de la prescription dans les populations vulnérables. »
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