Le deuil, comme la grossesse, n’est pas une maladie... mais peut le devenir. Le deuil représente ce temps nécessaire à toute personne pour se reconstruire après la perte d’un être cher. C’est une étape naturelle de la vie que chacun traverse plusieurs fois au cours de son existence. Un temps de vulnérabilité, qui mérite que l’on prête une particulière attention à ceux qui y sont exposés.
Avec 600.000 décès environ par an, 4 et 6 personnes en deuil lors d’un décès, on estime entre 2 et 4 millions le nombre de personnes nouvellement en deuil, chaque année dans notre pays, soit entre 3 et 6% de la population.
Les études ont montré qu’il existe une surmortalité et une surmorbidité dans les deux années qui suivent la perte d’un être cher : suicide, troubles du sommeil, de l’appétit, addictions, etc... 20% environ des deuils sont dits « difficiles » ou compliqués, leur prise en charge représentant un coût non négligeable pour l’assurance maladie.
On reconnaît un certain nombre de facteurs de risque de deuil difficile : l’âge du défunt, la brutalité du décès ou ses circonstances (accident, suicide, attentats, ...), l’effet cumulatif des pertes lorsqu’elles surviennent de façon rapprochée dans le temps, la précarité physique, sociale, psychologique voire existentielle de la personne... Nous ne sommes pas égaux devant l’épreuve. Les plus fragiles payent le plus lourd tribu.
Le deuil génère une intense fatigue, des difficultés de concentration, une perte de motivation qui rendent difficile l’exercice professionnel, sans compter les rites et démarchent multiples qui s’imposent lors d’un décès. Les endeuillés nous le disent. Certains réclament d’être « arrêtés » ; d’autres, au contraire, trouvent refuge dans le travail qui leur permet de mettre en distance, un temps, cette douleur morale qui les assaille, attendant écoute et compréhension de leurs collègues qu’ils disent ne pas toujours trouver.
Le deuil n'est pas une maladie
Si le deuil fragilise, il n’est pas en soi une maladie. Dans la majorité des cas, la personne en deuil va trouver en elle-même et auprès de son entourage, les ressources pour faire de cette épreuve un chemin et retrouver goût à la vie. Aussi, l’usage de prescrire un arrêt maladie constitue un non-sens autant qu’il suggère que la personne est malade, restreint l’usage de ce temps de repos du fait de la législation sur les arrêts de travail et ouvre trop systématiquement la voie à des prescriptions d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs.
Aussi, la question posée au Parlement, à savoir le nombre de jours d’arrêts accordés aux parents ayant perdu un enfant, vient en réalité soulever la difficile question de l’exercice de la solidarité nationale vis-à-vis des personnes confrontées à la perte d’un être cher. Pourquoi en effet limiter cette mesure aux seuls parents ? Et les frères et sœurs et grands parents ? Ne sont-ils pas eux-aussi exposés à un chagrin immense ? Pourquoi uniquement pour des enfants mineurs ? Lorsque l’on perd un fils ou une fille de 20, 30 ou 40 ans, n’est-on pas autant dévasté ? Pourquoi 12 jours, 21 à présent dans une nouvelle proposition ? Pourquoi pas 7 ou 50, ou 100 ? Sur quelle base le calcul du nombre de jours accordés est-il réalisé ? Doit-on y voir la volonté d’apaiser une culpabilité inconsciente ? A quel moment ce congés est-il accordé ? Les parents que nous accompagnons sont parfois en nécessité de s’arrêter à distance du décès, parfois des mois après et non lors de sa survenue.
Pourquoi ce congé supplémentaire uniquement lors de la perte d’un enfant (terme à proscrire car la mort ne sépare pas ceux qui s’aiment.) ? On sent bien là la volonté de rééquilibrer les « avantages » accordés lors de la venue d’un enfant dans un foyer avec ceux lors du décès d’un même enfant, dans un calcul difficile qui amène à vouloir compenser la douleur et donc à la mesurer. Mais existe-t-il une échelle le permettant ?
Autre débat soulevé : cette « indemnisation » doit-elle revenir à la charge des entreprises (ce qui exclue de fait la fonction publique et les professions libérales) ou à celle de la collectivité ?
Quels moyens pour accompagner ?
L’octroi de jours de congés ne représente qu’une réponse restreinte aux difficultés rencontrées à l’occasion du deuil. Ne faudrait-il pas également proposer une prise en charge à 100% des frais médicaux liées aux éventuelles complications du deuil ? Et des frais inhérents au soutien psychologique parfois nécessaire ? Les temps d’attente de rendez-vous en CMP étant souvent longs, le recours à des psychologues libéraux représente un coût non supportable pour nombre de foyers. Certaines mutuelles acceptent déjà la prise en charge de quelques séances.
La perte d’un de ses membres, fragilise parfois économiquement la famille. Je pense notamment, mais pas seulement, aux jeunes veuves avec enfants. Il conviendrait de réévaluer les pensions et avantages accordés dans ces circonstances, d’autant que la précarité rend le deuil plus difficile.
Aussi, la création d’un risque supplémentaire, couvrant l’ensemble de ces besoins, à l’instar de ce qui a été fait pour la femme enceinte (pour prolonger la comparaison), serait non seulement pertinent mais permettrait de faire reconnaître le statut d’endeuillé, la disparition des marques sociales du deuil les faisant se sentir ignorés, ce qui rajoute à leur souffrance.
Cette question plus sociétale, en révèle une autre. Quels moyens accordés à l’accompagnement des personnes en deuil dans notre pays ? Nous avons été nombreux à penser que le mouvement des soins palliatifs qui a connu un formidable essor dans notre société depuis 30 ans allait être suivi d’un mouvement tout aussi profond d’attention portés aux personnes en deuil. Le plus dur n’étant-il pas pour ceux qui restent, dit la sagesse populaire ?
Force est de constater que cela n’a pas été le cas. Les quelques associations qui militent en faveur de la reconnaissance du deuil dans notre société œuvrent toujours avec des moyens artisanaux qui n’excluent pas une réelle compétence, mais sans véritable appui. Ne faut-il pas y voir l’expression d’un tabou d’une société qui veut ignorer la mort ; d’une société qui a inventé l’assurance vie alors que la seule garantie que nous ayons sur terre, c’est celle de mourir un jour ; d’une société qui laisse à quelques uns, bénévoles ou professionnels méritant, le soin de se préoccuper de ces questions ? C’est indécent ! Il est temps que cela change et que les pouvoirs publics financent cet accompagnement.
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