« Être trans est une identité, pas un diagnostic psychiatrique ! », s'exclame Clément Moreau, psychologue à l'association Espace santé trans (EST). « Trop souvent, les personnes trans subissent une psychopathologisation de leur situation, amenant à lire ce qu'elles vivent au prisme de cette transidentité, indépendamment des maltraitances sociales et systémiques », déplore-t-il.
Les relations des transgenres à la psychiatrie sont aujourd'hui en pleine reconfiguration. La fin de la psychiatrisation de la transidentité, réclamée par les personnes trans, est actée dans la dernière version (janvier 2022) de la classification internationale des maladies (CIM-11) qui transfère l'incongruence de genre du chapitre des affections psychiatriques à celui de la santé sexuelle. Pour autant, cette dépsychiatrisation ne peut signifier une totale rupture avec les soins psychiques pour cette minorité sujette à des discriminations multiformes, chez qui l'on retrouve une surreprésentation des troubles anxiodépressifs, de l'humeur, de la suicidalité (40 % déclarent une tentative de suicide au cours de leur vie, dont un tiers avant 14 ans*), ou encore des symptômes de stress post-traumatique.
Toute la question est de repenser la place du psy. « Très souvent, les trans sont en souffrance psychique ; mais ces personnes tendent à éviter la psychiatrie car elles ont subi des comportements discriminants, des refus de soins, voire des violences dans un contexte de soins », décrit Morgan Verdeil, interne en psychiatrie et bénévole chez EST.
Les certificats en question
S'il n'est plus nécessaire de consulter un psychiatre pour accéder à un traitement hormonal, les personnes trans et certains professionnels demandent la suppression d'un certificat psychiatrique dans le cadre de la chirurgie d'affirmation (certificat exigé pour avoir accès l'ALD et donc à un remboursement).
La Dr Sarah Iribarnegaray a travaillé en tant que psychiatre au sein de la consultation de chirurgie plastique reconstructrice esthétique de l'hôpital Tenon (AP-HP). Un certificat médical d'un psychiatre est nécessaire pour les opérations, notamment les vaginoplasties ou les mastectomies. Au préalable de chaque intervention, une réunion de concertation pluridisciplinaire (RCP) est organisée. « Il n'y a plus de contre-indication psychiatrique absolue (alors qu'auparavant, le diagnostic de schizophrénie par exemple empêchait toute intervention). Il s'agit de dire s'il y a une pathologie mentale, le cas échéant si elle est stabilisée, et de se prononcer sur un éventuel risque de décompensation en cas d'intervention », décrit-elle. La psychiatre, aussi bénévole à EST, est lucide sur les limites de l'exercice. « Les patients appréhendent ce "passage obligé" ; ils expriment parfois de la défiance ou alors un discours assez stéréotypé, ou bien ils ont l'impression que j'ai leur vie entre mes mains. Cette position d'évaluation n'est pas confortable en tant que soignante. »
La dernière version (8e) de la World Professional Association for Transgender Health (WPATH) propose que l'évaluation soit confiée à un professionnel expérimenté dans les transitions, capable d'identifier les difficultés psychiatriques. « Pas forcément un psy : ce peut être un généraliste ou un infirmier en pratique avancée », plaide Morgan Verdeil.
En parallèle de la suppression de ce rôle de « certificateur », l'offre d'accompagnement psy des personnes trans doit être renforcée. « Sans être spécialisés, les médecins doivent être sensibilisés pour que les a priori ne soient pas un obstacle à la relation thérapeutique », poursuit l'interne. Et ceci, dès le premier abord. « Mon rôle de psychiatre ne consiste pas à poser une identité de genre (c'est à la personne de se définir), mais à prendre en charge la souffrance en lien avec les discriminations et le rejet ou les co-occurences psychiatriques », abonde la Dr Iribarnegaray. Les professionnels d'EST ont d'ailleurs formé plusieurs services de pédopsychiatrie ainsi que des généralistes libéraux.
Prudence éthique chez les mineurs
Ce n'est qu'au début des années 2010 que des consultations dédiées aux mineurs s'ouvrent à la Pitié-Salpêtrière, à l'hôpital Robert Debré (AP-HP) et à la Fondation Vallée (Gentilly). « Avant, aucun lieu n'existait pour les accueillir ; les services de psychiatrie adulte les voyaient une fois par an en attendant leur majorité, sans les accompagner véritablement », se souvient la Dr Agnès Condat, qui a pris la responsabilité de la consultation Identité sexuée de la Pitié en 2013.
« En presque 10 ans, nous avons reçu quelque 250 patients, de 3 à 18 ans », explique-t-elle, réfutant toute notion d'épidémie, qui ne correspond pas à la réalité, et qui, pire, « fait du mal » en ce qu'elle assimile la transidentité à une maladie.
Près de 40 % d'entre eux ont été victimes de harcèlement à l'école, 33 % ont décroché au moins trois mois, 60 % présentent un état dépressif majeur, 24 % ont déjà fait une tentative de suicide (TS). L'accompagnement est aussi divers que les demandes, qui vont du questionnement sur l'identité de genre à la prise en charge d'un état anxiodépressif, en passant par des interrogations exprimées par les parents. Le principe est l'individualisation des prises en charge, sur la base d'une approche globale et pluridisciplinaire, qui prend aussi en compte l'environnement familial.
Pour chaque enfant ou adolescent en demande d'une transition hormonale ou pour qui se pose des questions relatives à la préservation de la fertilité est organisée une RCP. « Beaucoup de questions éthiques se posent, ce qui suppose de la prudence et du temps pour informer les jeunes en fonction de leur maturité et rechercher une forme de consentement », souligne la Dr Condat. Ainsi, 26 sujets sur 239 suivis à la Pitié depuis 2013 ont reçu un traitement bloqueur de puberté. Pour chacun, a été discutée la balance bénéfice (amélioration du fonctionnement global) /risque (déminéralisation), ainsi qu'ont été explicités les enjeux relatifs à la fertilité. Idem pour les transitions hormonales. Moins de la moitié des patients suivis à la Pitié en ont bénéficié, en moyenne à 16 ans et 10 mois. Dans certains cas, ne pas administrer ces traitements alors qu'ils sont indiqués dans les recommandations internationales et qu'ils sont disponibles à l'étranger peut contrevenir au principe éthique de non-nuisance et de bienfaisance, a-t-il été considéré.
Les praticiens souhaiteraient conduire des études pour approfondir, au-delà des fantasmes, les facteurs qui influencent les jeunes vers les identités trans, l'impact des transitions sociales ou des traitements hormonaux sur leur évolution, ou encore le poids des projections sociétales négatives ; ce qui suppose des moyens, tout comme le fonctionnement des consultations dédiées. Faute de quoi, les délais d'attente, déjà d'un an et demi pour un rendez-vous à la Pitié-Salpêtrière, vont encore s'allonger.
*Selon les chiffres de la US Transgender Survey
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