LE QUOTIDIEN : La Sofcot a-t-elle été affectée par la récente crise sanitaire ?
Pr PHILIPPE TRACOL : Elle l’a été fortement. Comme vous pouvez l’imaginer, nos engagements primordiaux pour la qualité des soins et le service rendu aux patients, ainsi que notre accompagnement des professionnels qui les dispensent, imposent le maintien d’une structure consommatrice de ressources humaines et matérielles.
La pérennité de notre institution est fortement dépendante à la fois des cotisations de ses membres et du succès de son congrès annuel, dont elle est largement tributaire. Celui-ci a été annulé en 2020, la seule autre fois où cela s’était produit, c’était pendant la deuxième guerre mondiale !
Fort heureusement, forte de son siècle d’expérience et du soutien fidèle de ses près de trois mille membres, notre société peut entrevoir une sortie sereine de cette crise.
Votre société scientifique s’est progressivement élargie en conseil professionnel, le CNP-COT. Comment a été vécu ce changement de culture ?
Pr TRACOL : La principale problématique a été la nécessité d’une mobilisation et d’une disponibilité permanente du comité directeur au service des chirurgiens orthopédistes. Les semaines ont vraiment été bien remplies. Les domaines concernés sont innombrables : relations avec les tutelles (HAS, DGOS, ANSM, caisses, etc.), pratiques professionnelles, responsabilité professionnelle, DPC, recommandations professionnelles, nomination d’experts, etc.
Bien que ce changement ne soit effectif que depuis 6 ans, l’entente entre la société savante et le CNP s’est révélée être un remarquable modèle de cohésion. Cette adaptation relationnelle de qualité ne s’est pas obligatoirement produite au sein de toutes les sociétés savantes et le parcours évolutif réalisé au sein de la Sofcot mérite, à ce titre, d’être salué. De telles performances ont été rendues possibles par l’engagement d’un comité directeur motivé, par la mixité public-libéral et par l’ouverture plus large de la Sofcot aux jeunes générations, nourrissant, pour certaines d’entre elles, des inquiétudes sur leur formation et leur avenir professionnel.
L’émergence de nombreuses surspécialités au sein de votre profession, avec chacune leur propre congrès, ne risque-t-elle pas de compromettre l’audience de votre manifestation ?
Pr LUC FAVARD : Bien au contraire. Nos membres sont issus d’un tronc commun de formation et notre congrès est plutôt fédérateur. Ces surspécialités se sont constituées en sociétés professionnelles et scientifiques, en quelque sorte hébergées par notre société et baptisées de ce fait sociétés associées et/ou partenaires (SAP). Le but n’est pas une individualisation, mais une fédération fondée sur cohésion plus forte de toutes ces SAP, qui participent de plus en plus activement à l’organisation du congrès. Par ailleurs toutes les sociétés de spécialités sont membres du CNP au même titre que la Sofcot et participent activement à l’organisation de notre profession.
Pr ALEXANDRE POIGNARD : Si l’objectif du Congrès a toujours été essentiellement scientifique, éducatif et pédagogique, il a également une vertu de retrouvailles sociales indispensables entre des collègues dont les chemins se sont croisés à moment donné durant leur carrière. Le congrès présentiel a d’ailleurs beaucoup manqué durant cette crise récente et il devrait rester une composante importante de la dynamique éducative, même si l’option virtuelle prend, année après année, une part grandissante. Comme souvent dans notre métier, nous tirons des leçons de notre expérience et la crise sanitaire nous a appris que le numérique pouvait se frayer un chemin de plus en plus important dans l’enseignement.
La qualité des soins a toujours été le moteur de votre action. Les nouvelles technologies seront-elles la hauteur selon vous ?
Pr FAVARD : Cette année, notre congrès a pour thème directeur l’intelligence artificielle [lire p 36]. Cela recouvre, dans notre métier, de multiples déclinaisons : la navigation, la planification assistée par ordinateur, la robotique interventionnelle, l’utilisation de la réalité virtuelle et/ou augmentée — y compris à des fins de formation — la collecte et l’analyse de big data. Ces technologies se sont installées dans un nouvel environnement de distribution des soins. Comme toute évolution d’expérience dans notre métier, elles nécessitent d’être évaluées. Elles nécessitent également d’être « apprivoisées », c’est-à-dire d’être maîtrisées dans leur usage afin de constamment améliorer le service rendu au patient.
Ces technologies modifient la physionomie de la chirurgie orthopédique, réputée mature et peu évolutive. Comment votre congrès favorise-t-il leur acquisition et leur utilisation au quotidien ?
Pr POIGNARD : L’introduction graduelle de ces techniques dans notre métier impose une solide expérience éducative. Elle était autrefois accomplie par le compagnonnage. Si la robotique peut parfois faire figure d’assistance, elle n’est pas infaillible et son utilisation exige une courbe d’apprentissage.
Les formations en simulation ne peuvent pas toujours être financées par les universités, car ces technologies sont coûteuses. L’industrie du matériel biomédical prend souvent le relais de cette pénurie de ressources. Cette mutation technologique, qui s’installe petit à petit dans notre métier, est en place pour durer, évoluer et s’adapter, même si elle est parfois utilisée par certains comme un outil de marketing promotionnel. C’est un des rôles du congrès que de faire connaître ces nouveaux outils aux collègues, mais aussi de les informer de leurs avantages et de leurs risques.
Pr FAVARD : De la même façon qu’autrefois, les départements de recherche et développement s’acharnaient à trouver des solutions à des problématiques prothétiques de plus en plus ténues, ils sont aujourd’hui orientés vers la mise au point de logiciels de plus en plus performants, indispensables au pilotage de ces nouvelles techniques chirurgicales. Les investissements de l’industrie se concentrent à présent dans cette direction. Par ailleurs, la nouvelle réglementation européenne a complexifié le maintien ou la délivrance du marquage CE. Ainsi, le développement ou le maintien de certains dispositifs est de moins en moins rentable.
Quelles sont vos perspectives à présent ?
Pr TRACOL : De la même façon que nous sommes confrontés quotidiennement à la restauration ou à l’amélioration d’un appareil locomoteur abîmé, nous sommes résolus, au sortir de cette tourmente sanitaire, que nous avons chacun différemment, à adopter la pensée directrice de Schumpeter, à savoir celle de la destruction créatrice. C’est pourquoi notre volonté est de faire de l’année à venir, l’année de la reconstruction.
Exergues :
Pr Favard : Le but n’est pas une individualisation, mais une fédération basée sur cohésion plus forte de toutes les sociétés de surspécialités, qui sont membres du CNP au même titre que la Sofcot
Pr Poignard : Si l’objectif du congrès a toujours été essentiellement scientifique, éducatif et pédagogique, il a également une vertu de retrouvailles sociales indispensables entre des collègues dont les chemins se sont croisés durant leur carrière
Pr Tracol : Dans la gestion de la crise Covid, il est clair que la chirurgie orthopédique a été considérée comme non essentielle et a été sacrifiée.
Article précédent
Les fractures fémorales entre deux implants : un défi thérapeutique de moins en moins exceptionnel
Article suivant
Fauteuils : les épaules en pâtissent
Les SMS du congrès de la Sofcot
L’intelligence artificielle s’installe en chirurgie orthopédique
Les clés pour publier
La chirurgie orthopédique au cœur des enjeux fonctionnels pour le sujet âgé
Transparence pour la chirurgie de l’avant-pied
Les fractures fémorales entre deux implants : un défi thérapeutique de moins en moins exceptionnel
Le congrès de la reconstruction
Fauteuils : les épaules en pâtissent
Vigilance pour les tumeurs de la main
Fractures bimalléolaires du sujet âgé : la fragilité au premier plan
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024