Peut-on mieux gérer les urgences cancérologiques ?

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Publié le 15/11/2024
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Un nombre important de patients traités à domicile pour un cancer se retrouvent parfois aux urgences, pour une complication mal anticipée ou la survenue d’effets indésirables de leurs traitements. Ces situations peuvent être compliquées pour les urgentistes, pas toujours habitués à ces thérapeutiques parfois complexes. La priorité est de mieux prendre en charge les patients en ville et de renforcer les compétences cancérologiques des urgentistes. « Le Quotidien » donne la parole à un directeur d’hôpital, un oncologue et deux urgentistes sur cette question.

Des patients souvent âgés, avec des comorbidités cardiovasculaires, pulmonaires ou gériatriques

Des patients souvent âgés, avec des comorbidités cardiovasculaires, pulmonaires ou gériatriques
Crédit photo : BURGER/PHANIE

Comment, aux urgences, mieux répondre aux besoins des patients traités à domicile pour un cancer ? « C’est une question importante qui concerne bon nombre de nos patients qui, régulièrement, peuvent se retrouver dans un service d’urgence pour un problème qui, peut-être, aurait pu être pris en charge plus tôt ou géré dans le cadre de la médecine de ville », explique le Pr Éric Raymond, chef du service d’oncologie et d’hématologie de l’hôpital Paris-Saint-Joseph. Les patients traités pour un cancer sont souvent âgés et parfois polypathologiques, avec des comorbidités cardiovasculaires, pulmonaires ou gériatriques. « Ils peuvent arriver aux urgences pour un problème lié à une de ses comorbidités, mais aussi pour une complication de leur pathologie cancéreuse ou la survenue d’effets indésirables liés à leurs traitements », souligne le Pr Raymond. « Il y a des patients qui viennent aux urgences juste parce qu’ils ne savent pas quoi faire face à certains effets indésirables ; c’est régulier, quotidien même », confirme le Dr Olivier Ganansia, chef des urgences Paris-Saint-Joseph.

Anticiper les complications

Face à cette situation, une des priorités est d’agir en amont. « L’objectif est d’éviter, dans la mesure du possible, que ces patients n’aient pas d’autres solutions que de venir aux urgences. Cela suppose de leur donner toutes les informations nécessaires, en amont, pour connaître leur traitement et la manière de réagir face à la survenue de tel ou tel effet indésirable, indique Régis Moreau, directeur général de l’hôpital Paris-Saint-Joseph. C’est avec cet objectif que nous délivrons à nos patients un programme personnalisé de soins (PPS). Il s’agit d’un document écrit qui donne au patient la liste des effets secondaires de ses traitements et des pistes de relais pour une prise en charge en ville. »

Il y a des patients qui viennent aux urgences juste parce qu’ils ne savent pas quoi faire

Dr Olivier Ganansia

L’an passé, l’hôpital Paris-Saint-Joseph a aussi commencé à expérimenter une application permettant aux patients d’être suivis à leur domicile. « L’objectif est qu’en cas de dégradation de leur état ou de survenue d’effets indésirables, ils sachent comment réagir et à qui s’adresser, sans forcément s’orienter vers les urgences. C’est notamment utile pour les patients qui prennent des médicaments per os à domicile. Des pharmaciens, qui sont formés et labellisés, peuvent accompagner les patients pour les aider à gérer les effets indésirables. Nous avons mis en place cette action en lien avec la Cpam et l’ARS », indique Régis Moreau.

Remettre le généraliste dans la boucle

Pour diminuer le nombre de patients qui arrivent aux urgences, le médecin généraliste a aussi un rôle crucial à jouer. De l’avis général, il doit rester le pilier du parcours de soins des patients. « Ce qui est important, c’est de replacer le médecin généraliste à sa juste place au sein du parcours de soins. Beaucoup de patients ayant un cancer ont tendance à considérer que leur oncologue est devenu leur médecin traitant et qu’il va tout gérer, y compris tout ce qui relève de la médecine générale », indique le Dr Ganansia, en préconisant un meilleur partage des informations.

L’oncologue n’est pas un médecin traitant

« Il faut que les centres d’oncologie forment les généralistes et leur envoient les comptes-rendus des réunions de concertation pluridisciplinaire (RCP), indique-t-il. Il faut aussi qu’après chaque mise sous chimio d’un patient, ils informent les généralistes des risques de complications possibles avec le traitement. »

Concernant les patients qui suivent un protocole de phase 1 ou 2, les choses sont plus compliquées. « On est sur des médicaments très complexes avec des effets indésirables multiples. Et c’est difficile à gérer pour des urgentistes. Je pense que ces patients devraient avoir un numéro de téléphone accessible 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 », propose le Dr Ganansia.

Garantir l’accès aux informations

Le fait est que des patients, malgré tout, arrivent aux urgences. Comment, alors, assurer une prise en charge optimale de ces malades qui prennent parfois des traitements oncologiques pointus ? « Quand nous recevons un patient suivi pour un cancer dans un établissement de l’AP-HP, nous avons accès à tous les éléments de son dossier médical. Il n’y a pas de problème non plus pour appeler à 3 heures du matin une infirmière dans un service de cancérologie pour lui demander une précision sur le patient ou, si cela est nécessaire, de joindre un médecin senior qui puisse nous répondre », indique le Pr Enrique Casalino, chef du département médico-universitaire Invictus, qui regroupe notamment les urgences de Bichat, Beaujon, Lariboisière et Saint-Louis.

Tous les dossiers AP-HP sont partagés et nous pouvons joindre les services H24

Pr Enrique Casalino

La situation est un peu différente quand les urgentistes reçoivent des patients qui ne sont pas suivis à l’AP-HP. « Là, on n’a pas automatiquement accès aux RCP du patient. Dans la journée, c’est assez facile de passer un coup de fil dans le service de cancérologie du patient pour obtenir des informations. Mais la nuit ou le week-end, c’est plus délicat », indique le Pr Casalino, en ajoutant que, pour bien prendre en charge ces patients, il faut avoir une démarche ambitieuse. « C’est la raison pour laquelle notre groupe a demandé à obtenir une labellisation européenne “Cancer”. On espère avoir cette labellisation très prochainement. Avec elle, tous nos urgentistes devraient pouvoir avoir accès aux données de tous les patients. Il faut aussi que les urgentistes puissent être formés aux spécificités de la cancérologie, qu’ils soient en mesurer de traiter des complications métaboliques, hématologiques, post-chirurgicales… Et cette labellisation nous permettra d’avoir des protocoles communs avec les services d’oncologie. »

Quand urgentistes et cancérologues travaillent ensemble, cela nourrit les compétences

Pr Enrique Casalino

« C’est important de pouvoir travailler en lien étroit avec nos collègues cancérologues, poursuit le Pr Casalino. C’est ce que nous faisons dans les différents établissements de notre groupe hospitalier. À Saint-Louis, par exemple, les urgentistes sont particulièrement brillants dans la prise en charge des complications des cancers hématologiques, très suivis dans cet hôpital. À Beaujon, les urgentistes sont ultra-compétents pour traiter les complications des patients ayant un cancer digestif. Et à Bichat, ils sont en pointe face aux complications des cancers pulmonaires. Cela est possible parce que, dans ces hôpitaux, il y a des staffs communs, les oncologues et les urgentistes se connaissent et ont l’habitude de travailler ensemble. C’est une garantie de qualité pour les patients. »


Source : Le Quotidien du Médecin