COMMENT peut –on comprendre une douleur que l’on a jamais éprouvée ?
De nombreux travaux soulignent la constante sous-estimation par le personnel soignant de la douleur des patients, quel que soit le contexte, le type de douleur et l’âge. Pis, plus la douleur éprouvée est intense, plus il y a sous-estimation, laquelle croît aussi avec l’absence d’identification de la cause et l’impossibilité de se mettre « à la place de » (rappelons que la reconnaissance d’une sensibilité à la douleur chez le nouveau-né ne date que des années 1980). Comme si plus les systèmes de représentation de l’observateur étaient mis à mal, plus le déni fonctionnait à plein.
Un effet sur l’estimation de la douleur d’un patient.
Les capacités d’empathie (possibilité de comprendre et de partager les émotions et sensations éprouvées par l’autre) du médecin ont en effet un impact net sur l’estimation de la douleur d’un patient. Les travaux récents réalisés chez des sujets affectés d’insensibilité congénitale à la douleur (ICD) ont permis de mieux comprendre ces phénomènes de résonance de la douleur d’autrui chez un observateur. Pour ces sujets, se représenter la douleur d’autrui est un exercice particulièrement difficile qui nécessite de mettre au premier plan l’empathie de façon à pouvoir imaginer ce que ressent l’autre. En faisant visionner des séquences vidéos de scènes de blessures ou d’accidents générateurs de douleurs, des chercheurs français en neurosciences (1) ont montré que l’estimation de la douleur d’autrui par des patients atteints d’ICD était corrélée à leur capacité d’empathie et que ces patients activaient alors, en IRM fonctionnelle, leur cortex préfrontal ventromédian - une région cérébrale connue entre autres pour son rôle essentiel dans les processus d’inférence de l’état émotionnel d’autrui et dans les émotions sociales telles que la compassion. En revanche, les patients ICD activaient nettement moins que les témoins, leurs aires visuelles occipito-temporales, à la vue de la douleur chez autrui. Tout se passant comme s’il leur fallait, pour comprendre l’expérience de l’autre, « imaginer » une expérience inconnue pour eux.
Nous sommes tous plus ou moins des insensibles congénitaux face à la douleur d’autrui a fortiori lorsqu’il n’y a pas d’expression faciale ou de traumatisme visible, estime Nicolas Danziger ( 2). La prise en charge de patients souffrant de douleurs chroniques, par exemple, nécessite donc un travail d’imagination et d’abstraction qui seul peut permettre de dépasser le déni, redoutable pour le patient, mais bien plus confortable pour l’observateur .
(1) « Can we share a pain we never felt ? Neural correlates of empathy in patients with congénital insensitivity to pain ? » Danziger N, Faillenot I, Peyron R. Neuron. 2009 Jan 29;61(2):203-12.
(2) Nicolas Danziger. Vivre sans la douleur ? Editions Odile Jacob 2010.
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