Chuluun était venu m’accueillir à l’aéroport de la capitale, comme prévu. Il m’expliqua dans un anglais moyen que nous allions devoir voyager à moto jusqu’au site où résidait sa tribu et me demanda combien de temps je pensais pouvoir « tenir sur la moto ». Je réprimais un sourire en lui disant que j’étais solide. Ce que je n’avais pas anticipé, c’est que ce voyage prendrait 36 heures, plus du double de ce qu’il m’avait fallu pour venir en avion jusqu’à la capitale.
Cette interminable balade entrecoupée de rares bivouacs sur les chemins défoncés de la taïga fut l’occasion de : un, tester la résistance de mes lombaires, deux, admirer les magnifiques étendues sauvages du pays et trois, en apprendre un peu plus sur mon hôte. Chuluun était un jeune homme aux traits avenants qui appartenait au peuple Koman, que l’on surnommait au sein de l’ethnie Braga « le peuple qui court ». Dans un pays qui tirait une fierté historique de ses liens avec les chevaux, ces nomades qui allaient à pied figuraient au bas de l’échelle sociale. «Mon peuple a plus souvent été esclave que maître, m’expliqua Chuluun, mais nous avons toujours survécu à nos maîtres. Nous sommes résistants et, quoi qu’il arrive, nous endurons pour continuer à vivre sous le grand ciel».
Endurer. Chuluun ne faisait pas seulement allusion à l’hostilité glaciale des grandes plaines du nord mais aussi aux épreuves imposées par le parti communiste, à la tête du pays entre 1924 et 1992. Au nom de la modernisation, le parti avait voulu sédentariser les nomades et interdire le chamanisme, spiritualité principale de l’ethnie Braga jugée rétrograde. Après des décennies de persécutions sanglantes, la situation politique s’était apaisée et le chamanisme était à nouveau toléré, mais de nombreuses peuplades avaient disparu, emportant leurs traditions millénaires dans la tombe. Chuluun parlait de chamanisme en connaissance de cause. En effet, son grand-père était le chaman de sa tribu et, ajouta-t-il énigmatique, le seul à avoir le don d’aller et de revenir du « pays noir ».
Nous roulions sans croiser âme qui vive depuis des heures quand Chuluun m’ordonna de ne plus faire un geste et surtout de ne pas regarder. Obéissant à demi, je me plaquai contre son dos et c’est du coin de l’œil que je vis une colonne de motos et de Jeeps nous dépasser dans un nuage de poussière. Chuluun m’informa que nous n’étions pas loin de la frontière russe et qu’il n’était pas rare que des bandes de mercenaires armés passent la frontière. Leur présence dans les parages ne présageait rien de bon.
Nous finîmes par arriver sur le site où campaient les Koman. Je voulus faire bonne figure mais j’avais les reins en compote, le dos rompu et les membres gelés. On m’installa dans une yourte préparée à mon intention et, vaincu par la fatigue, je fus incapable d’en bouger pendant une journée entière. Solide, tu parles ! Quand j’émergeai enfin de mon long sommeil, deux hommes à l’air affable étaient assis face à moi : Chuluun et un vénérable vieillard vêtu d’une tunique multicolore. L’aîné versa trois bols de thé fumant et m’en tendit un d’un geste amical. Il parlait en mongol, Chuluun traduisait :
« Sois le bienvenu parmi nous, Khariin Khun (étranger). C’est dommage de faire un si long voyage pour dormir autant ». Ravi de son bon mot, l’ancêtre sourit. J’avais devant moi l’homme qui courait avec la mort. Il se nommait Yuuni.
Avec la collaboration de

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