Aujourd’hui en France, le paiement à l’acte représente toujours près de 85 % de la rémunération des généralistes, lesquels restent dans l’ensemble assez attachés à ce mode de paiement. Nos économistes sont plus circonspects. Tous s’accordent sur le fait que cette forme de rémunération devrait céder du terrain. « Le médecin français, traditionnellement, c’était un soignant dans le cadre de pathologies aiguës et ponctuelles. Le mode de rémunération à l’acte était adapté à ce contexte. Aujourd’hui, on lui demande autre chose, d’être un gestionnaire, d’être le titulaire du DMP, il doit être le chef d’orchestre du parcours de soins et donc il doit faire des tâches d’intérêt général déconnectées de la délivrance du soin et cela nécessite une forme de rémunération fondée sur le patient suivi », explique Claude Le Pen.
« Améliorer la qualité des parcours »
Pour Brigitte Dormont aussi, il faut penser différemment : « Tous les systèmes de santé savent qu’aujourd’hui il faut améliorer la qualité des parcours à la fois pour la qualité des soins mais aussi pour l’efficience de la prise en charge. Il faut arrêter de tout penser en termes de rémunération attachée à l’acte pratiqué par un médecin ». Et de montrer son étonnement sur le début des négociations : « J’étais très surprise de voir que les discussions autour de la convention s’orientaient vers la revalorisation du C. C'est à rebours de toutes les évolutions récentes, avec le développement d’autres formes de rémunération pour favoriser la prévention et le suivi des maladies chroniques, une autre façon de faire de la médecine », souligne-t-elle. Elle n’est pas la seule à souhaiter un changement de paradigme. Même un libéral assumé comme Frédéric Bizard ne se satisfait pas du paiement à l’acte dominant : « Il faut apporter plus de valeur et moins de volume. Le paiement à l’acte qui n’intègre pas les éléments de qualité ne peut pas durablement rester comme mode de paiement principal. C’est l’intérêt des médecins, cela leur permettra de rendre leur exercice professionnel beaucoup plus valorisant, d’améliorer leurs conditions de travail ».
Un virage vers la mixité des rémunérations
Moins tranchée dans son analyse, Lise Rochaix, professeure à la Sorbonne, préfère souligner que le système français a déjà amorcé le virage vers la mixité des rémunérations. « Les études menées par les économistes du travail dans les années 90 ont montré l’intérêt qu’il y avait à définir des modes de rémunération mixtes (une part fixe et une part variable, fonction du volume d’activité). En France, où prévalait le seul paiement à l’acte, l’évolution vers des modes de rémunération mixtes s’est faite par l’introduction de forfaits pour certains actes ciblés. » Mais, dans ce domaine, la perfection n’existe pas : « Il n’y a pas de mix “optimal” entre part fixe et part variable et l’importance respective de chaque composante de la rémunération est déterminée dans un cadre contractuel qui reflète à la fois les rapports de force en présence et les préférences des professionnels de santé », estime l’ancienne « Collégienne » de la Haute Autorité de santé.
Pas de mix optimal ? En 2014, Jean de Kervasdoué en convenait déjà dans une étude sur « le revenu des professionnels de santé ». Pour autant, l’économiste du Conservatoire National des Arts et Métiers a son idée sur la question : « Depuis très longtemps, je suggère que l’on propose aux généralistes un système avec, approximativement, deux tiers de capitation et un tiers de paiement à l’acte pour tout ce qui est garde, astreinte de nuit, etc. ». Faut-il donc se diriger vers un système de capitation à la britannique où le patient choisit son médecin pour que celui-ci soit honoré ? « Je ne suis pas pour imposer un tel système, mais pour offrir aux médecins et aux patients cette possibilité-là », précise toutefois Jean de Kervasdoué.
Et si la solution était d’adapter les modes de paiement à la diversité de la profession aujourd’hui ? Lise Rochaix ne juge visiblement pas absurde une évolution à la carte : « Les jeunes médecins et les femmes semblent aujourd’hui plus attirés par des modes d’exercice en groupe, ou en MSP, dans lesquels la rémunération évolue vers une plus grande forfaitisation. Il faut donc accompagner cette réduction de la part du paiement à l’acte et faire en sorte d’offrir à ceux qui le souhaitent d’évoluer vers ce type de mécanisme ».
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