Vous êtes en charge depuis janvier de la protection de l’enfance. Pourquoi la création d’un secrétariat dédié s’est-elle imposée ?
Adrien Taquet : Ma nomination correspond à une vraie volonté politique du Premier ministre et du président de la république de faire de la protection de l’enfance une priorité de l’acte II du quinquennat. Mon rôle est d’incarner cette cause au gouvernement, de faire prendre conscience à la population de la situation dramatique dans laquelle se trouvent trop d’enfants dans notre pays, et de faire en sorte de l’améliorer en mettant en œuvre des politiques adaptées.
À ce titre, vous avez proposé un “pacte pour l’enfance”. De quoi s’agit-il exactement ?
A. T. : Le pacte pour l’enfance fédère l’essentiel de la politique que je souhaite mener autour de trois grands axes : le soutien à la parentalité durant les 1 000 premiers jours de la vie de l’enfant, la lutte contre toutes les violences faites aux enfants en tout lieu et à chaque instant et la réforme de l’aide sociale à l’enfance. Nous avons voulu parler de pacte car les défis liés à la protection de l’enfance ne seront relevés que si l’on s’en saisit collectivement en tant que sujet de société. Cette question implique chaque citoyen.
Vous lancez le “parcours 1 000 jours”, ciblant la prévention précoce et l’accompagnement à la parentalité. Pourquoi parier sur cette période ?
A. T. : Nous voulons investir massivement sur cette période des 1 000 premiers jours de vie qui va du milieu de la grossesse jusqu’aux 2 ans de l’enfant, ou entre 0 et 3 ans si l’on prend en compte l’entrée à l’école. Les avancées récentes de la science ont montré que c’est là que beaucoup de choses se jouent, à la fois en termes de santé, mais également en matière de développement cognitif, d’éveil au monde et d’équilibre psychique. C’est donc à cette période que se constituent certaines sources des inégalités sociales.
D’où notre volonté de renforcer la prévention pendant cette période, en insistant sur l’accompagnement à la parentalité. Bien protéger les enfants, cela commence par soutenir les parents dans leur rôle.
En France, nous avons pour le moment une approche très médicale du petit enfant et de la parentalité. Nous ne remettons pas cela en cause, bien sûr, car il y a des enjeux de santé mais nous voulons y adjoindre une dimension psychosociale, voire psycho-éducative. La prévention doit dépasser le domaine sanitaire et aborder des aspects qui touchent davantage le développement et l’épanouissement de l’enfant.
Ces 1 000 premiers jours méritent une attention très particulière car c’est une période où l’enfant est vulnérable, très perméable à son environnement, mais où tout est encore réversible.
A. T. : Il y a bien sûr la question de l’obésité et du surpoids qui concerne 18 % de nos adolescents ! Nous devons promouvoir les bons comportements alimentaires dès le plus jeune âge en travaillant avec les parents.
L’exposition aux écrans est aussi un vrai sujet. Beaucoup de professionnels de la petite enfance nous alertent sur leur impact potentiel en termes d’attention et de sociabilité. La prévention pourrait être renforcée dès le plus jeune âge. Je lisais récemment un sondage montrant qu’en France, 82 % des enfants de 1 à 2 ans avaient une « interaction régulière » avec les écrans. Cela doit nous interpeller.
Concernant les violences, on a beaucoup communiqué ces dernières années sur le syndrome du bébé secoué, par exemple, et on pouvait penser que ce sujet était derrière nous. Ce n’est pas le cas. Beaucoup de parents ne sont toujours pas au courant. L’information et la sensibilisation doivent donc encore être renforcées.
On peut aussi citer des violences nouvelles, notamment liées à l’environnement, dont nous devons mieux mesurer l’impact. C’est le cas de l’exposition aux perturbateurs endocriniens dont on doit prémunir les plus jeunes.
Quels seront les maillons clés de ce parcours ?
A. T. : L’objectif est de construire un parcours qui accompagne les parents de manière continue, pratique et globale sur ces 1 000 premiers jours de l’enfant. à la fois en généralisant certains rendez-vous comme l’entretien prénatal précoce du quatrième mois de grossesse ou les visites à domicile du post-partum par les sages-femmes. Mais aussi en développant une dimension de services aux parents, par exemple en ce qui concerne les modes de garde.
Mais avant de décider de réformes, nous voulons aboutir à un consensus scientifique solide sur lequel nous appuyer. Pour cela, nous venons d’installer un comité d’experts présidé par Boris Cyrulnik et regroupant des pédopsychiatres, pédiatres, spécialistes de l’imagerie du cerveau, neurologues, et praticiens de terrain. etc.
En parallèle, j’effectuerai dans les prochains mois une série de déplacements dans toute la France autour de nombreuses thématiques correspondant aux besoins des parents d’être mieux accompagnés. Cette opération aura pour objectif de co-construire avec eux le parcours 1 000 jours.
Bien souvent médecins traitants des enfants, les généralistes sont en première ligne dans leur suivi. Comment entendez-vous les impliquer ?
A. T. : L’idée n’est pas de désigner un acteur unique mais d’organiser autour de l’enfant et de ses parents des réseaux de professionnels coordonnées sur des objectifs communs en phase avec les besoins et les réalités territoriales.
Un rapport de la députée et médecin Stéphanie Rist sur la santé des 0-6 ans, remis en juin au gouvernement, préconise en ce sens un décloisonnement de tous les acteurs qui interviennent sur la santé lors de la petite enfance. Cela concerne les professionnels de santé, les généralistes, les pédiatres, les médecins de PMI, les médecins scolaires mais également les conseils départementaux et les Agences régionales de santé. Aujourd’hui, tous ces acteurs travaillent trop en silos, ce qui entraîne notamment des pertes d’informations dans le suivi des enfants. Le généraliste aura un rôle important et devra être impliqué dans une organisation de professionnels mieux coordonnée qui permettra de remédier à cela.
Bien protéger les enfants, cela commence par soutenir les parents dans leur rôle.
La loi dite “anti-fessée” a enfin été adoptée cet été. N’étant assortie d’aucune sanction pénale, comment peut-elle porter ses fruits ?
A. T. : Jusqu’à présent, le droit de correction perdurait dans notre jurisprudence. Avec cette loi, nous avons inscrit dans notre code civil – et cela devrait figurer dans les carnets de santé – que l’exercice de l’autorité parentale doit se faire en dehors de toute violence psychique et physique. 50 % des parents qui commettent ce type de violence sur leurs enfants le font en pensant bien faire, souvent car ils l’ont eux-mêmes subi. C’est ce cercle vicieux de la violence éducative légitimée que cette loi cherche à briser, car nous savons désormais grâce aux progrès de l’imagerie médicale du cerveau qu’aucune violence n’est éducative ni ordinaire. Par ailleurs, nous allons présenter début novembre un plan de lutte contre les violences faites aux enfants.
Les médecins et notamment les généralistes font très peu de signalements de maltraitance, comment les impliquer davantage ?
A. T. : Il n’y a effectivement qu’une assez faible proportion des signalements faits aux Crip (cellules de recueil des informations préoccupantes) qui viennent des médecins généralistes. On peut considérer que ce n’est pas satisfaisant dans la mesure où ils voient beaucoup d’enfants, et sont de ce fait bien placés pour détecter les éventuelles maltraitances. Les médecins ne doivent pas se tromper de combat : la responsabilité de qualifier le type de violence, voire de porter une appréciation ou un jugement sur ce qui se passe dans le cercle familial, n’est pas de leur ressort. En revanche, ils ont une responsabilité en tant que professionnels et en tant que citoyen de signaler quand il y a une suspicion de violences faites à l’enfant.
Les recommandations de la HAS doivent être mieux appliquées. Mais il faut aussi probablement renforcer la formation initiale et continue sur ces sujets-là.
Nous avons conscience que les médecins et notamment les généralistes peuvent se sentir isolés face à ces situations. Ils doivent pouvoir trouver un appui. Il faut sûrement créer dans les territoires des centres ressources avec des référents, que les libéraux puissent appeler en cas de besoin, comme c’est déjà mis en place dans certains endroits.
La petite enfance est déjà sous tension. Aurez-vous les moyens de votre politique ?
A. T. : Il y a effectivement des difficultés, notamment en ce qui concerne les médecins scolaires, et un vrai problème de démographie pour les médecins de PMI. D’ici 2020, 66 % de ceux qui exerçaient en 2006 seront partis en retraite et c’est déjà le cas pour une partie d’entre eux. Il faut envisager une meilleure répartition des actes entre médecins de PMI et infirmières puéricultrices, mais aussi renforcer l’intervention d’autres professionnels en PMI (psychologues, psychomotriciens, éducateurs de jeunes enfants…) et soutenir les coopérations avec le secteur libéral et le monde hospitalier, à travers les réseaux périnataux et communautés professionnelles. Je crois également beaucoup au bénéfice des interventions à domicile des professionnels auprès des futurs et des jeunes parents. Je pense par exemple, à certaines études qui ont montré qu’un accompagnement soutenu et régulier des professionnels auprès des jeunes parents durant les 1 000 premiers jours permettait aux enfants d’être en meilleure santé. Je soutiendrai au titre du PLFSS un renforcement des moyens alloués aux actions de PMI et un partenariat renouvelé sur ce sujet entre les ARS et les Départements.
Renforcer la pédopsychiatrie est aussi un enjeu important. Agnès Buzyn s’en est emparée en en annonçant une feuille de route dès 2018. Des crédits supplémentaires, à hauteur de 10 millions d’euros, ont déjà été dégagés pour répondre aux besoins importants qui existent
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