Faut-il dérembourser les médicaments homéopathiques ? La commission de la transparence de la Haute Autorité de santé vient de rendre son avis sur le sujet, estimant que l’efficacité clinique de ces produits était insuffisante. Son président, le Pr Christian Thuillez, et la responsable du service évaluation des médicaments de la HAS, Mathilde Grande, ont répondu à vos questions pendant près d’une heure au cours d’un Live chat exceptionnel.
Le médecin est revenu sur la méthodologie qui a conduit la HAS à se prononcer contre le remboursement des médicaments homéopathiques. Mais il n’a pas pour autant condamné la pratique de l’homéopathie, estimant que les médecins étaient libres de leur prescription, en accord avec leurs patients.
Journaliste QDM (SL)
Bonjour à toutes et à tous.
Nous accueillons aujourd’hui le Pr Christian Thuillez (HAS), président de la Commission de la transparence de la Haute Autorité de santé (HAS). Dans un avis rendu vendredi 28 juin, cette commission a estimé que l’efficacité des médicaments homéopathiques était insuffisante pour qu'ils soient proposés au remboursement. Dans quelques jours, la ministre de la Santé, Agnès Buzyn, doit à son tour se prononcer.
Journaliste QDM (SL)
Le Pr Thuillez commentera l’avis de la HAS et répondra à vos questions pendant toute la durée de ce Live chat. Il est accompagné de Mathilde Grande, chef du service évaluation du médicament de la HAS.
Journaliste QDM (SL)
Bonjour Pr Christian Thuillez (HAS). Bonjour Mathilde Grande.
Nous sommes ravis de vous accueillir dans les locaux du « Quotidien ». Merci d’avoir accepté notre invitation.
Pr Christian Thuillez (HAS)
Merci de nous avoir conviés, il nous paraît important de répondre aux différentes questions que se posent les médecins. Cela nous permettra d'expliquer notre évaluation.
allopatibulaire
La seule question : pourquoi avoir attendu si longtemps pour ce déremboursement ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
Nous avons répondu à la sollicitation de la ministre, qui souhaitait avoir notre avis sur le bien-fondé de la prise en charge de l'homéopathie. Mais effectivement, il n'y a pas eu d'autre demande pour justifier l'évaluation de l'homéopathie avant la ministre actuelle.
Thierry48
Comment est-il possible que le remboursement ait été accordé pour des drogues n'ayant pas subi les tests cliniques d’efficacité et d’innocuité exigés pour les médications courantes ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
Ces médicaments, avant d'être mis à disposition des prescripteurs, obtenaient un droit d'enregistrement à l'ANSM et, de ce fait, étaient remboursés sans évaluation réelle de l'efficacité clinique par la HAS en vue du remboursement.
Ce phénomène était en partie lié avec le fait que la HAS n'était pas compétente en termes réglementaires pour évaluer ces médicaments homéopathiques.
Le Parlement et la ministre ont souhaité que la Commission de la transparence de la HAS puisse évaluer le bien-fondé de la prise en charge par l'Assurance-maladie des médicaments homéopathiques. Il a fallu étendre les compétences réglementaires de cette commission dans la mesure où, habituellement, elle évalue l'efficacité d'un médicament pour une maladie. Ce n'est pas le cas avec l'homéopathie : un même médicament peut être prescrit dans plusieurs maladies.
Doc doc doc
Sur quelles pathologies avez-vous testé les médicaments homéopathiques ? Avez-vous constaté des différences d'(in)efficacité selon les pathologies ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
Nous avons évalué les médicaments homéopathiques dans 24 situations cliniques en s'intéressant aux signes des symptômes et aux symptômes, qui avaient fait l'objet de recherches et de publications. A titre d'exemple, les troubles anxieux, troubles du sommeil, infections bénignes, verrues, etc.
Cette évaluation a reposé sur l'analyse des effets de 1200 souches d'après une recherche bibliographique de la littérature réalisée sur 20 ans et sur un périmètre large (bases de données médicales classiques ainsi que les bases de données relatives aux médecines alternatives). En tout, cela fait 1000 publications identifiées. Cette analyse de la bibliographie a été enrichie par les dossiers déposés par les trois laboratoires et par les éléments apportés par la large contribution des parties prenantes (associations de patients, sociétés savantes, syndicats de professionnels, Ordre, collèges de médecins homéopathes et non homéopathes, etc.)
29 parties prenantes ont contribué à notre travail dont 11 auditionnées par la Commission de la transparence de la HAS.
A l'issu de l'examen de l'ensemble de ces données et des auditions, aucune efficacité clinique n'a été retrouvée dans ces 24 symptômes et signes. C'est-à-dire aucune efficacité en comparant le médicament homéopathique et le placebo.
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Il existe plus de 5 000 médecins homéopathes en France. Pourquoi n'en avoir associé aucun à la réflexion de la HAS ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
Les médecins homéopathes ont été largement concernés par la réflexion, dans la mesure ou ils ont été sollicités lors de la consultation publique sur le site de la HAS, et où les associations et syndicats de médecins homéopathes ont été auditionnés.
Doc
Pourquoi avoir gardé les mêmes critères d'évaluation que pour les médicaments « classiques » ? L'homéopathie est une médecine alternative qui mérite donc d'autres critères d'évaluation. Comparer deux choses incomparables n'est pas possible, non ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
Il est vrai que la pratique homéopathique correspond, d'une part, à une prise en charge particulière et, d'autre part, à la prescription d'un médicament. Nous en sommes parfaitement conscients. Mais il ne nous revenait pas d'évaluer la pratique en tant que telle, notre responsabilité consistait à évaluer le médicament uniquement, et à évaluer son efficacité. A partir du moment où il y a prescription de médicament, il était logique d'évaluer ces médicaments en termes d'efficacité, selon les mêmes critères et la même méthode que tous les médicaments.
Cette méthode est celle de l'EBM (Evidence-Based Medicine) et repose sur l'évaluation de l'efficacité, de la gravité de la maladie, de la tolérance, la place dans la stratégie thérapeutique et l'intérêt pour la santé publique.
chipeck
Comment expliquez-vous que des milliers de médecins et de patients observent une efficacité sur le terrain ? Le principe actif de l'homéopathie n'échapperait pas à la science pour le moment ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
Lorsqu'on parle d'efficacité sur le terrain, on évalue la pratique de l'homéopathie et le médicament. Nous n'avons évalué que l'efficacité du médicament. Il devrait être possible de faire des études pour évaluer la pratique de l'homéopathie en soi. C'est un autre domaine.
Nous respectons beaucoup la pratique homéopathique et les Français qui consomment des médicaments homéopathiques.
Fitouc
Que pensez-vous de l'étude EPI3? L'avez prise en compte lors de votre évaluation ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
Cette étude est originale et très intéressante. Elle concernait trois domaines importants : les TMS, les infections respiratoires peu sévères et les troubles du sommeil et anxieux. Elles n'ont pas démontré l'efficacité clinique du médicament homéopathique mais ont conclu que les patients qui prenaient des médicaments homéopathiques prenaient moins de médicaments conventionnels.
Cela aurait pu être un atout, mais on ne peut pas tirer ce type de conclusion dans la mesure où les groupes de patients ne sont pas homogènes ni comparables. La seule conclusion possible est de constater que les patients qui vont consulter un médecin homéopathe consomment davantage de médicaments homéopathiques et moins de médicaments conventionnels.
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Pardon, ma question était mal posée. Je voulais dire au sein du collège de la HAS il n'y a aucun homéopathe, est-il facile de comprendre une discipline sans en avoir jamais suivi les enseignements ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
Le collège de la HAS n'est pas impliqué dans l'évaluation du médicament. Il n'y a pas d'homéopathes au sein de la Commission de la transparence de la HAS bien que certains membres prescrivent de l'homéopathie. Toutes les spécialités ne sont pas représentées, mais la Commission de la transparence peut consulter les spécialistes concernés si elle le souhaite. Ce que nous avons fait.
Jolbert
De quelle façon avez-vous sollicité l'avis des patients, qui restent les premiers concernés, autrement que par un sondage sur le site de la HAS qui n'est pas le plus fréquenté et connu, il s'en faut de beaucoup ? Merci.
Pr Christian Thuillez (HAS)
Les associations de patients ont été consultées grâce à la consultation publique et grâce au questionnaire. Elles ont été auditionnées. Et deux membres d'associations de patients et d'usagers siègent et votent en commission de la transparence de la HAS.
unvraihomeo
Quels moyens et quels délais prévoyez-vous pour une évaluation PROSPECTIVE indépendante des labos (ou pas, puisque les autres le font avec les labos...) et ADAPTÉE A LA MÉTHODE HOMÉOPATHIQUE et non pas à un remède seul ? Merci d'intégrer des gens de terrain dans les études.
Pr Christian Thuillez (HAS)
Toutes les évaluations de la Commission de la transparence sont indépendantes, à la fois des laboratoires, du politique et des professionnels de santé.
Nous nous sommes adaptés à la spécificité des médicaments homéopathiques, en évaluant non pas une maladie mais 24 signes et symptômes. Cette évaluation scientifique a nécessité 9 mois de travail. Si d'autres résultats d'études sont portés à notre connaissance, une nouvelle évaluation pourra être mise en œuvre, comme c'est le cas pour tous les autres médicaments.
Fitouc
Pensez-vous qu'il existe un « effet placebo » sur les animaux ? Comment expliquez-vous les bienfaits de l'homéopathie sur le règne animal ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
Nous ne sommes pas concernés par l'évaluation des médicaments chez les animaux, même si ce point a été évoqué.
prof du 33
À la lumière de vos conclusions sur les médicaments homéopathiques, pensez-vous qu'il faut cesser l'enseignement de l'homéopathie dans les facs de médecine ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
L'enseignement, quel qu'il soit, ne relève pas de notre responsabilité. Mais il faut bien distinguer un enseignement diplômant et un enseignement qui viserait à sensibiliser les étudiants à la pratique homéopathique. Les responsables pourront se prononcer.
lor75
Bonjour, avez-vous au niveau de la HAS réalisé une étude pour savoir sur quoi allaient se reporter les prescriptions (et les achats hors ordonnance) d'homéopathie remboursée ? homéopathie non remboursée ? médicaments de prescriptions remboursés ? médicaments non remboursés ? compléments alimentaires ? Merci!
Pr Christian Thuillez (HAS)
Aucune donnée française et internationale n'a été retrouvée sur un éventuel effet report, ni dans la revue de la littérature, ni dans les données déposées par les parties prenantes. Il faut souligner que l'existence de report n'est pas prouvée. Il faut être bien conscient du fait que les patients pourront continuer à se procurer des médicaments homéopathiques, qui resteront commercialisés en pharmacie.
De plus, je tiens à rappeler que la prescription d'un médicament n'est pas toujours nécessaire en cas de maladie peu grave, et souvent spontanément résolutive. Il faut sortir de la logique du tout médicament (homéopathique ou conventionnel).
DAN
Quelle formation en homéopathie avez-vous suivie ? 30% de mes patients anxieux ne prennent que de l’homéopathie. Voulez-vous que je reporte mes prescriptions sur les anxiolytiques allopathiques ? Idem dans beaucoup de domaines.
Pr Christian Thuillez (HAS)
Je suis pharmacologue et cardiologue. Je n'ai pas de formation spécifique sur le médicament homéopathique, mais il me revient d'évaluer avec la commission que je préside des dossiers dans de nombreux domaines qui ne relèvent pas directement de ma spécialité, grâce aux avis d'experts et grâce à l'évaluation des données cliniques disponibles.
Je suis très attaché à la liberté de prescription. Encore une fois, l'avis défavorable au remboursement du médicament homéopathique n'est pas une interdiction de prescription ou de consommation de celui-ci.
Journaliste QDM (PT)
Bonjour.
Tous les jours, en tant que médecins, nous recevons des alertes sur l’antibiorésistance. La France étant un des plus mauvais élèves au niveau international dans l’usage à bon escient des antibiotiques, ne serait-il pas plus judicieux de « laisser une porte ouverte », à des médecins de terrain qui ont besoin de répondre à une demande concrète en consultation ? L’homéopathie – même placebo – me semble parfaitement adaptée dans une majorité de cas (pédiatriques).
Pr Christian Thuillez (HAS)
Le sujet de l'homéopathie n'est pas comparable à celui de l'antibio-résistance. Nous respectons le choix de l'homéopathie si celle-ci est jugée utile par le médecin et par le patient. Nous avons évalué l'efficacité du médicament homéopathique en la comparant à un placebo en vue d'une prise en charge par l'Assurance-maladie.
Peut on envisager un remboursement à 15% ?
Peut-on envisager un remboursement à 15% au lieu d’un déremboursement total ?
La question qui nous a été posée était celle d'évaluer le bien-fondé du remboursement des médicaments homéopathiques sur des critères d'efficacité clinique. Il nous a été demandé de rendre un avis favorable ou défavorable au maintien du remboursement, soit oui ou non. Nous n'avons pas retrouvé d'efficacité clinique et avons donc proposé le déremboursement. Le fait d'envisager un remboursement à 15% n'est pas de notre responsabilité. Ce n'était pas la question posée.
chipeck
Pourquoi avez-vous exclu les études de moins de 50 personnes qui permettaient d'individualiser le traitement, ce qui est le fondement de l'homéopathie ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
Il était nécessaire d'appliquer des critères de sélection des études retrouvées dans la littérature pour garantir la qualité, d'autant plus que les symptômes concernés ont une forte prévalence. Le nombre de patients inclus fait partie de ces critères. Nous précisons que seuls les essais cliniques dont l'analyse portait sur 30 patients par groupe ont été retenus.
Journaliste QDM (SL)
Ce Live chat est sur le point de se terminer. Dernière question.
-- Nanocervo
La HAS étant une autorité indépendante, ne serait-il pas plus logique que ses avis s'imposent au gouvernement, comme c'est le cas, je crois, avec le NICE en Grande-Bretagne ? Cela éviterait des hésitations préjudiciables à tout le monde, comme ces jours-ci avec l'homéopathie ?
Pr Christian Thuillez (HAS)
La HAS est effectivement une autorité indépendante à caractère scientifique. Au-delà de notre avis médical, il revient à la ministre de prendre la décision sur des arguments qui relèvent de sa responsabilité.
Journaliste QDM (SL)
C’est fini pour aujourd’hui. Merci au Pr Thuillez et à Mathilde Grande d’avoir échangé avec les lecteurs du « Quotidien ». À vous le mot de la fin...
Pr Christian Thuillez (HAS)
Merci de m'avoir donné l'opportunité de répondre à des questions qui étaient toutes pertinentes, ce qui contribuera, j'espère, à compléter l'éclairage qui a pu être donné sur l'évaluation des médicaments homéopathiques, médicaments qui concernent un domaine d'intérêt important aussi bien pour les médecins que pour les patients.
Journaliste QDM (SL)
Merci à toutes et à tous pour votre participation et pour vos nombreuses questions. Rendez-vous à la rentrée pour un nouveau Live chat. D’ici là, bon été à tous !
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