La première remarque concerne la flopée de personnalités du Rassemblement national qui rejoignent la candidature d'Éric Zemmour. Leur nombre et leur qualité sont impressionnants, mais ils n'ont aucune influence sur sa popularité, dont la cote reste largement en deça de celle de Mme Le Pen. Ce qui pose une question mystérieuse : pourquoi tant de personnages, souvent connus, de Marion Maréchal à Bruno Mégret, rejoignent-ils le camp qui a le plus de chances de perdre ? La réponse est multiple : ils sont assez intelligents pour comprendre que, en l'état, l'extrême droite n'a aucune chance de l'emporter cette année, mais que le mouvement peut être réformé pour l'élection présidentielle de 2027. Dans ces conditions, ils pensent repartir du bon pied après le scrutin.
Au Rassemblement national, naguère Front national, la trahison est une pratique courante. Marine Le Pen a évincé son père, fondateur du parti, pour accomplir l'aggiornamento dont il ne voulait pas entendre parler. D'autres aujourd'hui, mécontents de sa dédiabolisation, lui font subir le traitement qu'elle avait réservé à Jean-Marie Le Pen. La voilà choquée et déprimée : si Marion Maréchal reconnaît que sa prise de position en faveur de Zemmour ouvre un conflit familial, elle ne fait rien pour en atténuer les effets sans pour autant s'engager clairement contre sa tante. Les Le Pen ont toujours traité la démocratie française comme une chasse gardée, allant même jusqu'à se quereller publiquement sur les tréteaux sans chercher à cacher le moins du monde leurs différends. C'est le prix que Marine a dû payer pour gouverner le Front, avant de gouverner le pays.
Marine au bout de son parcours
Dimanche dernier, elle a cru bon de mettre un terme aux défections en demandant à tous ceux que Zemmour tenterait de faire leur choix sans attendre. Une mise en garde sévère mais sans effet. Rien ne les oblige à obtempérer, de sorte que le RN est entré dans une phase de suspicion générale. Comme dans la famille très florentine des Borgia, on voit des traîtres partout et des poignards dont on devine la forme dans les poches. De toute évidence, si Marine Le Pen a réussi à rebondir dans les sondages, si elle devance Zemmour et lui coupe la route du second tour, elle est maintenant au bout de son parcours : il lui est clairement impossible de battre l'autre candidat au second tour, qu'il s'agisse de Macron ou de Pécresse. Elle est déjà renvoyée à l'échec de sa candidature, donc à la fin de sa carrière politique.
Il y a en effet des échecs qui constituent des tremplins et d'autres qui signent une défaite définitive. La pandémie a créé un électorat versatile, qui change d'avis à chaque rebondissement politique et qui, enthousiasmé par Marine, est désormais fanatique d'Éric. On a beaucoup parlé de la dédiabolisation de la fille de Jean-Marie Le Pen, mais la surenchère de M. Zemmour ne pouvait produire que ce résultat. Il existe donc quelque 17 % de l'électorat qui préfèrent une extrême droite structurée, hiérarchisée et philosophiquement apaisée. Mais cette évolution de la cheffe historique du RN ne raconte pas qu'elle a fait le bon choix. Dans la quête des suffrages, c'est la surenchère qui paie le mieux.
Il n'est pas aisé de décrire ce mouvement scié en deux au faîte de sa gloire et dont la présidente a peu à peu éliminé presque tout ce qui la différenciait de la droite classique. Mais, dans ce cas, pourquoi ne rallie-t-elle pas les Républicains, qui envoient quelques-uns des leurs dans le camp de Zemmour ? Pourquoi ne parie-t-elle pas sur une orientation qui la rangerait dans le camp de LR ? Qu'est-ce qui reste, pour un esprit averti, des folies de l'extrême droite, sinon les mensonges, le négationnisme et le révisionnisme de Zemmour que Marine ne veut pas assumer ? Il n'existe pas de parti qui, comme le RN, s'affaiblit de ses victoires et dont le déclin s'accentue à mesure qu'il s'approche des marches du pouvoir.
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