Dans la colère française, si explicitement exprimée par le ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, il y a une part de sincérité. Mais il y a aussi une manière de masquer un regret, celui de ne pas avoir vu venir la « trahison » australienne. Le gouvernement australien jure qu'il a prévenu la France, que les sous-marins commandés ne correspondaient plus aux exigences d'une guerre éventuelle avec la Chine et qu'il devait acheter des engins à propulsion nucléaire. Ses doléances auraient été accueillies avec une certaine indolence par la France et l'on peut supposer que le carnet de commandes de Naval Group, le constructeur français, était plein, ce qui n'incitait pas nos dirigeants à donner suite rapidement aux réclamations de Canberra.
Il n'est pas impossible que la crise franco-américaine s'apaise au fur et à mesure que seront publiées les principales informations sur les conversations entre la France et l'Australie. Mais, de toute évidence, des amis loyaux auraient demandé avant toute chose à la France de faire une nouvelle offre, ce qui n'a pas été le cas. Isolationniste ou pas, Joe Biden, le président américain, s'est surtout montré dur, insensible à la relation habituelle entre Washington et Paris, ou alors il est totalement dépourvu de subtilité diplomatique, ce qui, me semble-t-il, est le cas.
De toute façon, l'heure n'est plus aux jérémiades. La crise des sous-marins est née d'une crise beaucoup plus vaste, les menaces que la Chine fait peser sur tout le contour du Pacifique. Il n'existe pas deux moyens de contrer l'hégémonie affirmée de Pékin, c'est de montrer nos dents, c'est-à-dire d'afffirmer la présence militaire de la France et de l'Europe en Mer de Chine, non sans, au préalable, avoir organisé une force crédible européenne. Il s'agit d'un travail de longue haleine, qui pourrait être l'apanage de la zone euro plutôt que des 27. Il faut diagnostiquer la menace, puis ne pas être chiche en dépenses d'armements et de recrutement de soldats.
Changer d'assurance vie
Et il faut quand même aller relativement vite. Le président français pourrait tirer avantage de sa présidence de l'Europe pendant six mois à partir du premier janvier 2022. Il lui sera difficile de gérer notre pays, de faire campagne et d'élaborer le projet de défense à la fois. En outre, il n'est pas sûr d'être réélu en avril prochain, de sorte qu'il serait alors obligé de passer le relais à son successeur qui, lui, sera débordé par les tâches qui l'attendent. Mais il y a depuis dix jours, une réaction nationaliste en France. Nous devrions donc trouver un consensus pour la progression du projet européen de défense qui, bien mieux que les imprécations, placarderait les manœuvres insensées et cyniques de Washington et de Londres. Non seulement, on ne fera pas une seconde fois le même coup à la France, mais nous rappellerons à la Grande-Bretagne et aux États-Unis qu'elles ont de lourdes responsabilités dans le traité atlantique.
Il y a quelques mois, Emmanuel Macron faisait une déclaration choquante en affirmant que l'OTAN « est dans un état de coma dépassé ». Il ne croyait pas si bien dire : la France a été la première à payer le prix de l'affaiblissement de l'Organisation atlantique. C'est une erreur anglo-saxonne de croire que la France serait un État négligeable. Elle est la seule, face à la Russie, à disposer d'une force de frappe nucléaire ; elle a une armée rompue aux pires batailles ; elle aurait un rôle pivot dans la défense de l'Union. De toute façon, les États-Unis mesurent aujourd'hui le poids de leur bourde. Il faudra bien qu'ils tentent de réparer un malaise qui réjouit Pékin et Moscou. On répète à l'envi que la France ne compte pas dans le grand affrontement Est-Ouest. Mais l'Europe compte, elle est même au cœur du conflit, et elle a donc le droit de changer d'assurance-vie.
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