Pour le mouvement Hippie, qui était essentiellement politique, le sexe était un acte militant, une transgression de toutes les normes et de la morale en vigueur. « Cinquante ans plus tard, on est passé de l'idéal révolutionnaire et communautaire de la sexualité à l'individualisme du sexe consommatoire. Le jeu sexuel est devenu une performance sexuelle, avec l'injonction d'être toujours prêts. Le plaisir s'est transformé en obligation à l'orgasme ! », constate le Dr Gérard Ribes, psychiatre sexologue à Lyon.
En 2019, 60 % des femmes et 42 % des hommes reconnaissent avoir déjà simulé un orgasme, soit deux fois plus qu'il y a 20 ans. Le sexe, ou plutôt la génitalité, s'est trouvé augmenté, avec les machines à orgasme que sont les sex-toys ou autres. Le zapping sexuel, dans les rencontres ou via Internet, fait que la sexualité s'oriente vers une auto-sexualité, en particulier chez les hommes : pourquoi chercher à séduire une femme sans certitude sur l'issue, alors qu'il est plus facile de se donner du plaisir devant son ordinateur ?
« I love you » et « Made in China ». Les deux n’offrent aucune garantie
Après-Guerre, la sexualité est devenue un vecteur de développement et d'épanouissement personnel avec une notion qui est devenue centrale, celle de la fidélité à soi-même. Ce qui ne va pas sans poser question, sur la compatibilité entre cette fidélité et celle à un ou une partenaire. C'est au nom de cette fidélité à soi-même, qu'après avoir retrouvé une certaine liberté et une autonomie financière, les nouveaux seniors n'hésitent plus à se séparer après 60 ans. Les jeunes de 1968 étaient subversifs en ayant des rapports sexuels hors mariage, ils le sont aujourd'hui à 70 ans en divorçant pour entamer une sexualité ailleurs. Et, lorsque ces couples de seniors se recomposent, la cohabitation n'est plus la norme.
On pensait le couple immuable après 60 ans, mais les nouveaux seniors ont fait bouger les lignes des représentations sociales à cet égard. 28 % des femmes sexagénaires et plus et 39 % des hommes de cet âge sont divorcés, soit trois fois plus qu'il y a dix ans.
Paradoxalement, la longévité dans la vie commune est aussi devenue subversive, « on voit de plus en plus de ces couples ayant plus de 40 ans de vie commune, qui ne reposent plus sur des bases sociales ou économiques, mais sur leur libre choix de maintenir des couples extrêmement vivants et actifs où la sexualité joue très vraisemblablement un grand rôle », poursuit le sexologue.
S'affranchir de l'absolu génital
Ces seniors 2.0 ont gardé le slogan de 68 « jouir sans entraves » ce qui, face à la génitalisation de la société, signifie jouir de la vie en incluant le sexe pour s'affranchir de l'absolu génital. Ils s'inscrivent dans une sexualité relationnelle, pour se faire plaisir à deux dans une forme de liberté ou de confiance, intégrant, selon les mots de Maïa Mazaurette (1), « le plaisir dans son entier (de la conversation à l'orgasme), le corps dans son entier (et pas seulement le pénis), la relation dans son entier (avec des partenaires qui ont une vie intérieure et pas seulement des boutons sur lesquels appuyer). »
« Cette nouvelle sexualité de l'intériorité part de l'exploration de soi, du "SEXplorer" : je choisis d'évoluer avec quelqu'un pour me rencontrer moi-même et inversement, affirme le Dr Gérard Ribes. Ce qui suppose prendre le temps du chemin et pas forcément d'aller au bout (avec orgasme obligatoire à la clef) et de rester plutôt dans la dimension de la proximité émotionnelle et physique avec l'autre ».
C'est une intimité sexuelle au service de l'intimité relationnelle et personnelle, et vice-versa, qui permet d'exprimer des zones de soi qu'on n'aurait pas exploré sans la rencontre de l'autre. « Ce grey power va-t-il être le précurseur d'un nouveau modèle de sexualité ? 50 ans après, vont-ils refaire la révolution sexuelle ? », espère le Dr Ribes, citant des patients nonagénaires : « – vous vous aimez ? – Je ne sais pas si on s’aime, mais ce dont je suis certaine c’est que l’on s’entraime ».
(1) « Sexe et obsession de la performance : redistribuons le plaisir », blog de Maïa Mazaurette
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