Implants dentaires et bisphosphonates

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Publié le 04/04/2013
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Crédit photo : PHANIE

Entretien avec le Dr Blandine Ruhin, Paris.

LES PRATICIENS CONFRONTÉS à des patients sous bisphosphonates se trouvent fréquemment dans l’embarras : que répondre à des patients sous bisphosphonates qui souhaiteraient des implants dentaires endo-osseux ? C’est pourquoi la Société française de stomatologie, de chirurgie maxillofaciale et chirurgie orale (www.sfscmfco.fr), avec le concours de la Fédération de chirurgie maxillo-faciale et l’Association française pour le développement de la stomatologie (AFDS), ont décidé de réunir un groupe de travail pluridisciplinaire sur ce thème pour une analyse complète de la littérature et une analyse critique des articles, afin d’aboutir à la rédaction de bonnes pratiques sur « Implants et Bisphosphonates ».

«Une revue de la littérature menée jusqu’en 2012, a retrouvé 57 cas publiés d’ostéonécrose et implants : la majorité de ces cas portaient sur des patients recevant des bisphosphonates par voie intraveineuse, précise le Dr Blandine Ruhin. Il en ressort que chez les patients recevant des bisphosphonates par voie intraveineuse pour une pathologie maligne, la pose d’implants n’est pas recommandée. D’autres solutions doivent alors leur être proposées : bridges, prothèses amovibles sur base souple non traumatisante ». La question se pose donc pour les autres patients recevant des bisphosphonates pour une pathologie bénigne (ostéoporose).

Candidats à la pose d’implants dentaires, déjà sous bisphosphonates.

La pose d’implants dentaires chez des patients sous bisphosphonates est contre-indiquée si les bisphosphonates ont été prescrits par voie veineuse pour une pathologie maligne. Si les bisphosphonates ont été prescrits par voie orale pour une pathologie bénigne (ostéoporose), la possibilité d’une mise en place d’implants dentaires endo-osseux passe par une évaluation rigoureuse du risque encouru et par une surveillance osseuse péri-implantaire accrue. Chez les patients recevant déjà des bisphosphonates, il est en effet très important de recenser les facteurs de risque d’ostéochimionécrose et de rejet implantaire. Il faut notamment s’intéresser à la toxicité inhérente à la molécule : les amino-bisphosphonates de 3e génération étant beaucoup plus puissants et donc plus à même de provoquer des ostéonécroses des mâchoires, la voie d’administration (la voie veineuse étant la plus toxique), la durée du traitement. « Le risque d’ostéochimionécrose est très faible mais reste tout à fait possible en cas de prise de bisphosphonates depuis moins de deux ans, sous réserve d’avoir évalué les autres risques. Au-delà de 5 ans de bisphosphonates per os, le risque d’ostéochimionécrose est notoire ».

Il faut également s’intéresser aux facteurs potentiellement aggravants liés au terrain : sexe féminin, âge supérieur à 65 ans, comorbidité associée (diabète, obésité, tabagisme, etc.) traitement médicamenteux associé (corticoïdes, immunosuppresseurs ou chimiothérapie).

Enfin, le site osseux à implanter peut aussi constituer une zone à risque d’ostéochimionécrose : « le risque est notamment plus élevé à la mandibule qu’au maxillaire (en raison d’une moindre vascularisation) et plus élevé encore, en postérieur qu’en antérieur (toujours en raison d’une vascularisation plus fragile). Certaines particularités anatomiques osseuses (comme la présence d’exostose) une prothèse dentaire mal adaptée en bouche et bien sûr, une mauvaise hygiène buccodentaire sont aussi des cofacteurs de risque d’ostéochimionécrose aux bisphosphonates et de perte implantaire ».

Lorsque la décision d’implanter a été prise, il est inutile d’interrompre temporairement le traitement par bisphosphonates pour mettre en place des implants dentaires : la demi-vie des bisphosphonates est d’environ quatorze ans, et un arrêt temporaire ne changerait strictement rien.

«Il faut aussi que le praticien qui pose l’implant ait une bonne expérience implantaire pour que le fraisage soit le moins traumatisant possible et qu’il le fasse sous couverture antibiotique jusqu’à cicatrisation muqueuse et osseuse complète. S’il y a plusieurs implants à poser, cela doit se faire en plusieurs temps afin de pouvoir évaluer la qualité de la cicatrisation muqueuse et osseuse au pourtour du site implanté. En outre, le suivi régulier (tous les mois au début, puis tous les trois mois) est indispensable car le délai d’apparition d’une nécrose est très variable et donc imprévisible », poursuit le Dr Blandine Ruhin.

Il faut enfin une bonne complicité entre le patient, le prescripteur de bisphosphonates et le praticien de la cavité orale. Car contrairement à ce qui a pu être dit à un moment donné, il n’existe pas de marqueur du remodelage osseux pouvant servir de facteur prédictif de l’ostéonécrose. Simplement, dans les semaines qui précèdent l’apparition de la souffrance osseuse, il arrive que le patient ressente une gêne, présente une petite inflammation de la gencive, une mauvaise haleine, une sensation d’écoulement purulent et/ou une douleur, voire mobilité d’une dent ou d’un implant. « Au moindre symptôme il est donc essentiel que le patient consulte rapidement le praticien qui est responsable de sa cavité buccale et/ou lui a posé l’implant. C’est pourquoi le patient doit impérativement être informé de ces signes prémonitoires. En cas de réaction inflammatoire osseuse autour de l’implant (périimplantite), des bains de bouche à la chlorhexidine, un curetage doux, et parfois des antibiotiques peuvent éviter une évolution défavorable et sauver l’implant. Finalement, la dépose de l’implant n’est envisagée qu’en cas de mobilité sévère ».

Patients déjà porteurs d’implants et candidats aux bisphosphonates

Chez les patients déjà implantés et chez qui se pose la question de passer aux bisphosphonates, la situation est plus simple. Comme il n’est bien sûr pas question de déposer le ou les implants en place, le médecin prescripteur de bisphosphonates doit juste informer son patient des bénéfices et des risques liés à cette prescription et de la nécessité de consulter un professionnel de la cavité orale pour bilan prétraitement, éducation buccodentaire et information quant à la nature des signes d’alerte devant faire rapidement consulter. La gestion d’une souffrance osseuse au pourtour de l’implant en place requiert des mêmes précautions (sus-citées).

Chirurgien maxillofacial et stomatologue, hôpital de la Pitié-Salpêtrière.

 Dr NATHALIE SZAPIRO

Source : Bilan spécialistes