Sein : vingt ans de dépistage, et après ?

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Publié le 07/11/2024
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Le programme national de dépistage organisé du cancer du sein a vingt ans, mais la participation des femmes reste toujours insuffisante. Les radiologues, qui occupent une place centrale dans le processus, s’interrogent : comment améliorer l’accès au dépistage ? Pourra-t-on y intégrer les évolutions technologiques ?

L’Assurance-maladie a repris les invitations depuis janvier 2024

L’Assurance-maladie a repris les invitations depuis janvier 2024
Crédit photo : BURGER / PHANIE

Depuis 2004 sur l’ensemble du territoire français, le programme national de dépistage organisé du cancer du sein s’adresse aux femmes âgées de 50 à 74 ans présentant un risque moyen de développer un cancer du sein. « Il permet la détection et la prise en charge précoces de ces cancers augmentant ainsi les chances de guérison », rappelle Agnès Rogel (Santé publique France), en en présentant le bilan.

Une participation insuffisante

Après avoir augmenté jusqu’en 2011-2012, pour atteindre un pic à 52,3 %, la participation au programme a diminué progressivement, pour toutes les tranches d’âge et dans toutes les régions. Une baisse importante a été observée en 2020, en raison de l’épidémie de Covid-19, avec un rattrapage en 2021. Pour les données les plus récentes, 2022-2023, la participation est de 46,5 %, inférieure à celle de 2021-2022. « La participation à ce programme reste insuffisante, mais elle est complétée par environ 10 % de recours à un dépistage hors programme (surtout en Île-de-France et dans le Sud-Est), permettant d’établir un taux de couverture du dépistage du cancer du sein proche de 60 % », explique Agnès Rogel.

80 % des cancers sont détectés au stade N0, sans envahissement ganglionnaire. « Il est important que les femmes qui souhaitent se faire dépister, soient orientées vers le programme de dépistage organisé, plus performant car il s’accompagne d’une seconde lecture des résultats et d’une meilleure qualité de la procédure dans son ensemble », souligne l’épidémiologiste.

Depuis janvier 2024, une nouvelle organisation a été mise en place, avec la reprise des invitations par l’Assurance-maladie, avec l’objectif d’améliorer le taux de participation. Les centres régionaux de coordination des dépistages des cancers (CRCDC) ont la charge du suivi des dépistages, de la formation et de l’information des professionnels et de « l’aller vers », auprès des populations les moins participantes.

Tomosynthèse mammaire : oui mais

Le dépistage consiste en la réalisation, tous les deux ans, d’un examen clinique des seins ainsi que d’une mammographie numérique (2D). Il prévoit une seconde lecture systématique des mammographies pour lesquelles aucune anomalie n’a été détectée.

Depuis 2009, la tomosynthèse (3D) est largement utilisée en France, en dehors du cadre du dépistage organisé, notamment chez des femmes à haut risque de cancer du sein ou dans le cadre de la surveillance d’un cancer diagnostiqué, où elle a montré des résultats bénéfiques. L’Institut national du cancer avait saisi la Haute Autorité de santé (HAS) afin qu’elle évalue l’opportunité d’introduire la 3D dans la stratégie de dépistage organisé du cancer du sein. En réponse, la HAS, en 2023, avait recommandé l’introduction de la tomosynthèse dans le dépistage organisé des cancers du sein, à condition qu’elle soit systématiquement associée à la reconstruction d’une image 2D synthétique (3D + 2Ds).

En parallèle du déploiement progressif de cette procédure sur l’ensemble du territoire national, la HAS recommande le maintien de la technique en cours, fondée sur la mammographie numérique (2D). « En pratique, la 2Ds n’est pas utilisable en deuxième lecture s’il n’y a pas de dématérialisation de l’envoi des clichés. On peut espérer, avec les nouveaux mammographes, que plusieurs constructeurs seront très bientôt en mesure de démontrer une performance similaire entre 2D et 2Ds. Pour le moment, il ne faut pas changer les pratiques », conseille la Dr Isabelle Thomassin (présidente de la Société d’imagerie de la femme [Sifem]).

Les promesses de l’IA

Les radiologues portent un regard positif sur l’intelligence artificielle (IA), qu’ils considèrent comme une aide en pratique de routine : selon un récent sondage réalisé par la Sifem auprès des radiologues français (111 répondeurs), 78,4 % pensent que les logiciels d’IA de détection sont une aide ; seuls 18,9 % la considèrent comme un danger.

De nombreuses études prospectives ont déjà montré l’intérêt de l’utilisation de cette technologie pour le triage. Selon l’étude suédoise Masai, l’utilisation de l’IA pour une première lecture augmente le taux de détection des cancers (sans augmentation des faux positifs) et diminue fortement la charge de travail des radiologues. Une autre étude suédoise, ScreenTrustCAD, montre qu’en l’utilisant en deuxième, voire troisième lecture, l’IA augmente le nombre de cancers détectés et diminue le nombre de mammographies nécessitant un bilan complémentaire.

Plus de cancers, autant de faux positifs et moins de travail pour les radiologues

Ces résultats ont été confirmés récemment par une étude rétrospective danoise, sur plus de 60 000 femmes. Grâce à l’IA, il y a eu + 17 % de cancers détectés, un faible taux de rappel et une diminution de 34 % du nombre de mammographies lues (1).

En Hongrie, le centre de diagnostic MaMMa Zrt a progressivement mis en place l’IA pour le dépistage du cancer du sein. « Les résultats d’une étude menée sur 28 811 cas ont montré une amélioration des cancers détectés, un gain de temps, mais cela ne remplace pas bien sûr le regard du radiologue », souligne le Dr Gabor Forrai (Budapest).

De plus, il est indispensable qu’il y ait un système d’évaluation indépendant international pour les logiciels d’IA (2). « À l’heure actuelle d’après les études, il ne semble pas que l’IA en mammographie puisse remplacer l’échographie. Elle pourrait en revanche, indiquer la nécessité d’une IRM (3). Quoi qu’il en soit, ce qui compte en premier est le niveau d’expertise du radiologue qui utilise l’IA. De plus, les femmes souhaitent le maintien d’un contrôle humain. Le radiologue est et doit rester le garant », martèle la Dr Isabelle Thomassin.

Bonnes pratiques en IRM mammaire

L’Inca retient quatre grandes indications pour l’IRM mammaire :

- Lors du bilan d’extension d’un cancer du sein prouvé histologiquement, lorsqu’il existe une discordance de taille entre la clinique, la mammographie et l’échographie ; chez la femme à haut risque ; en cas d’association de facteurs de risque (seins denses, femme jeune).

- Pour évaluer la réponse tumorale lors d’une chimiothérapie néoadjuvante : à faire au début de la chimiothérapie si la patiente a eu un traitement conservateur, et à la fin de la chimiothérapie.

- Dans le dépistage des femmes à haut risque de développer un cancer du sein, notamment porteuses de la mutation BRCA1 et BRCA2, chez qui le cancer du sein se déclare souvent à un jeune âge. Plusieurs études montrent la supériorité de l’IRM dans le diagnostic précoce des tumeurs par rapport aux autres techniques, tout particulièrement chez des femmes avec des seins denses, comme c’est souvent le cas chez la femme jeune. Il est donc préconisé annuellement, avec la mammographie, dès l’âge de 30 ans et jusqu’à 65 ans.

- Pour résoudre un problème radiologique : cicatrice, récidive, vérifier l’intégrité des prothèses mammaires, rechercher un cancer primitif, en cas d’anomalie sur une seule incidence, de doute.

Chez la femme non ménopausée, l’IRM mammaire doit être réalisée si possible lors de la deuxième semaine du cycle menstruel (J7 – J14) ; et, chez la femme ménopausée, après deux mois d’arrêt du THS.

« Des protocoles abrégés peuvent être intéressants, mais un effort d’homogénéisation, aussi bien sur leur définition que leurs indications, doit être réalisé, afin de permettre leur utilisation dans la pratique quotidienne », note la Dr Aurélie Jalaguier-Coudray (Marseille).

Session « Dépistage : Téléradiologie, DBT, 2Dsynth, IA en L2 »
(1) Lauritzen AD et al. Radiology. 2024 Jun;311(3):e232479
(2) Annie Y. NG et al. Nat Med. 2023 Dec;29(12):3044-3049
(3) Salim M et al. Nat Med 2024 (30)2623-30

Dr Christine Fallet

Source : Le Quotidien du Médecin