LE QUOTIDIEN : Vous avez été appelé à la barre lors du procès des attentats du 13 novembre. Quel témoignage avez-vous apporté ?
Pr THIERRY BAUBET : J’ai été cité comme témoin par les avocats des victimes. J’ai expliqué les conséquences de tels événements sur la santé et la vie des personnes qui y ont été confrontées directement ou indirectement. J’ai rappelé les traumatismes et les troubles de stress post-traumatique (TSPT) qui peuvent en résulter. Les témoins peuvent être concernés, mais aussi les proches endeuillés, traumatisés par la brutalité de l'annonce, par la présentation du corps, etc.
Le procès peut-il se révéler bénéfique, voire thérapeutique, pour les victimes directes et indirectes ?
La réponse est variable selon le parcours et les attentes de chacun. Mais, pour la majorité, c’est un moment important de leur chemin de rétablissement, sans qu’on puisse dire que c’est thérapeutique. Ça ne soigne pas un trouble post-traumatique (voir aussi pages 10-11). Dans l’ensemble, le constat est celui d’un soulagement, un sentiment d’avoir été entendu et compris par cette autorité symbolique qu’est la cour. Cette expérience partagée a pu aussi permettre de créer ou resserrer des liens, et des personnes isolées se sont rapprochées d’associations.
Lors d’un procès, la diffusion des images et de sons de l’événement peut-elle être source de réactivation des traumatismes ?
Les troubles post-traumatiques comprennent le retour incessant, contre le gré de la personne, d’images traumatiques qui causent de la détresse. Je ne pense pas que la diffusion d'images fasse du bien aux victimes. Mais si l'événement n'a pas été vécu, je doute que cela puisse déclencher des traumatismes.
Ce procès a été l’occasion d’un débat sur la pertinence de diffuser des images et des sons. Le pire n’a pas été montré, et quand des choses difficiles ont été diffusées, le public a été prévenu. Une très grande attention a été portée aux victimes.
Certains, dont des victimes, estiment qu’on ne peut pas se rendre compte sans voir. De mon point de vue, montrer les images les plus horribles n’apporte pas nécessairement plus que ce que les mots peuvent dire. Le risque est que ça soit une douleur supplémentaire pour les victimes, un moment de gloire pour les bourreaux. Les psychiatres et les psychologues croient dans le pouvoir de la parole, plutôt que des images.
Selon l’enquête « ESPA 13 novembre », la moitié des victimes souffrant encore de stress post-traumatique et de dépression un an après l'événement n’avaient pas entamé de prise en charge. Comment l’analyser ?
La deuxième phase de l’enquête ESPA qui est en cours devrait éclairer ce non-recours aux soins. Le premier volet de l’enquête, proposé sous la forme quasi-exclusive de QCM, n’a pas apporté de réponses vraiment satisfaisantes.
Beaucoup d’éléments peuvent entrer en jeu. Une raison fréquente relève d’un sentiment d’illégitimité. Quelqu’un qui n’a pas été blessé peut se dire qu’il n’a pas à se plaindre et ne pas se sentir autorisé à aller mal et à demander de l’aide. Les sentiments de honte et de culpabilité sont également extrêmement fréquents dans le trouble post-traumatique et empêchent de se confier.
Un autre symptôme du TSPT, c’est l’évitement : on cherche à éviter à tout prix tout événement qui peut renvoyer à l’épisode traumatique. On pense alors pouvoir s’en sortir en n’y pensant plus ou en faisant comme si ce n’était pas arrivé. Une mauvaise expérience avec un psy ou un soignant peut aussi entrer en jeu : si on n’a pas été compris, si la souffrance a été banalisée, on ne va pas y revenir facilement. Enfin, le caractère même du traumatisme est indescriptible, incommunicable. On se dit que même si on en parle, on ne sera pas compris.
Quelle position adopter face à une victime qui n’a pas sollicité de soins après un traumatisme ?
Certains traversent ce type d’événement sans développer de trouble psychotraumatique. Le premier enjeu est de rechercher un trouble de stress post-traumatique et une dépression avec quelques questions clés, ce que tout généraliste peut faire.
Pour le TSPT, il faudra interroger la fréquence des pensées relatives à l’événement, les conséquences sur le sommeil, sur la place que cela occupe au quotidien. Pour la dépression, il faut rechercher et évaluer les signes de tristesse, d’impact sur le sommeil, de jugement négatif sur soi, d’idées suicidaires, etc.
S’il y a des troubles, il faut expliquer que ce sont des troubles connus que les médecins savent soigner et que la plupart du temps, les troubles s’améliorent, même si ça peut parfois être très long. Avec des psychothérapies et des traitements, on sait rendre aux gens leur liberté, faire en sorte que ces événements deviennent un très mauvais souvenir, et non quelque chose qui les empêche de vivre. En appui, il faut envisager une orientation vers des centres psy ou vers les centres régionaux des psychotraumatismes (CRP) qui sont en train d’être ouverts partout.
Pour aller plus loin : http://cn2r.fr/podcasts-13-11-15/
Article précédent
Psychotraumatisme : bientôt des recommandations de la HAS
Article suivant
Attentats : comment s'intriquent mémoires individuelle et collective ?
Psychotraumatisme : bientôt des recommandations de la HAS
« Un moment important du chemin vers le rétablissement »
Attentats : comment s'intriquent mémoires individuelle et collective ?
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024