Affirmer que la seule conformation des organes sexués ne constitue pas une nécessité médicale en soi marque une rupture avec les pratiques. C'est l'orientation voulue par le récent arrêté de bonnes pratiques pour la prise en charge des enfants présentant des variations du développement génital (voir page 10).
Ce virage a été enclenché par la prise de parole de certains patients sur les « mutilations » subies dans l'enfance sans leur consentement et surtout sans nécessité médicale. Ils dénoncent une pathologisation des corps des enfants intersexes et la mainmise du corps médical sur leur sort. « La bienveillance a pu manquer, reconnaît le Pr Rémi Besson, chirurgien pédiatrique au centre expert de Lille. Certains patients se sont sentis traités comme des animaux de foire. »
Si la prise en charge repose sur des traitements médicaux et chirurgicaux en cas de besoin vital, des interventions ont été réalisées jusqu'à présent pour faire correspondre l’anatomie au sexe assigné.
Une remise en cause des pratiques sur un fondement juridique
Ces pratiques « importées des États-Unis dans les années 1970 et inchangées depuis » s’appuient sur l’idée que « le sexe peut être malléable », contextualise Laurence Brunet, juriste spécialisée en bioéthique intervenant auprès de l’équipe de l’hôpital Bicêtre. « En toute bonne foi, le corps médical était persuadé qu’on ne pouvait pas laisser un enfant avec des organes génitaux indéterminés ou atypiques sans compromettre son avenir, alors qu'aucune étude n’a jamais comparé un groupe d’enfants opérés à un groupe de non-opérés, poursuit-elle. Pour que l’enfant s’intègre, il faut intervenir : la nécessité est alors sociale et non médicale. »
Cette approche a été remise en question dès les années 1990, donnant naissance à un mouvement de rejet des interventions médicales systématiques. Les critiques de ces interventions dites « de conformation » des enfants intersexes ont d’abord été formulées par certains patients, puis par plusieurs institutions. Dans un rapport paru en mai dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) décrit ces interventions comme « lourdes, mutilantes, parfois répétées », « généralement accompagnées d’une hormonothérapie ainsi que d’examens et de soins intrusifs », avec des traitements aux « effets secondaires majeurs, en particulier sur la sexualité future, en plus des souffrances physiques et physiologiques occasionnées ».
En 2018, le Conseil d’État appelait déjà à une prise de distance et rejetait les arguments d’ordre psychologique et social avancés par les partisans des interventions précoces. La « seule finalité de conformer l’apparence esthétique des organes génitaux aux représentations du masculin et du féminin afin de favoriser le développement psychologique et social de l’enfant » ne peut justifier une intervention sans son consentement. En amont de la loi de bioéthique, un avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) adoptait une position similaire en faveur du « choix éclairé » des personnes concernées par des interventions au « caractère irréversible » qui « suppriment ou modifient de manière substantielle un organe sexuel ».
Appel à un nouveau paradigme médical
Dans le monde médical, un changement d’approche est amorcé à l'international avec le consensus de Chicago (2006), marquant « la fin de la prise en charge selon une pensée phallocratique », estime le Pr Besson. Jusque-là, « la réflexion était assez binaire, poursuit-il. S’il n’y avait pas de verge, on considérait que c’était une fille. C’était plus simple, mais on se plantait. Pour certains patients, les taux de dysphorie de genre atteignaient environ 40 % à l’adolescence. Après le consensus, c’est tombé au même taux qu’en population générale. »
La littérature commence en parallèle à documenter les complications suivant ces interventions, comme le risque de sténose vaginale dans les cas opérés d’hyperplasie congénitale des surrénales. « Des publications sur l’innervation du clitoris par exemple ont permis de se rendre compte à quel point les interventions pouvaient être source de douleur et hypothéquer la vie sexuelle future », explique Laurence Brunet, plaidant pour une « dépathologisation, mais pas forcément une démédicalisation ».
L’enjeu est désormais de prendre en compte ses évolutions pour modifier les pratiques et de développer des alternatives, notamment par un accompagnement des parents et une formation des professionnels de santé et de la petite enfance. Le défi est ainsi sociétal. « Il est nécessaire de sortir les variations du registre de la mythologie, de la monstruosité et du tabou », conclut Laurence Brunet.
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