Face à la problématique des risques psycho-sociaux, de plus en plus présente dans le monde de l'entreprise, le médecin du travail se fait de plus en plus "préventeur". Une évolution qui arrive à point nommé, alors que le gouvernement veut mettre l'accent sur la prévention dans le système de santé.
3,2,1 : action et prévention
Stéphane prend la direction d’Angers, Émilie et Maria restent en Île-de-France, quant à Bruno, il rejoint Dijon. Dénominateur commun ? Leur réussite cette année au concours spécial de l’internat en médecine du travail. Leur troisième cycle vient tout juste de démarrer, mais ils savent déjà à quel point ils sont attendus sur le terrain. Les 5 010 médecins aujourd’hui en exercice dans cette spécialité sont à la peine dans un monde du travail qui se durcit. Concurrence, réorganisations et fusions-acquisitions font partie de leur vocabulaire et les symptômes observés ne sont pas étrangers à l’environnement dans lequel les salariés peuvent aussi s’abîmer et s’user.
Problème : plus de 2000 d’entre eux partiront à la retraite dans les dix ans qui viennent et les 138 postes offerts aux épreuves classantes nationales en 2017 ne suffiront pas à renouveler ces praticiens qui exercent au cœur des entreprises. Comme l’hématologie, l’oncologie médicale et la santé publique, la médecine du travail offre pourtant à coup sûr un exercice salarié, dans la structure et la région de leur choix. Ces praticiens, formés à l’écoute, observateurs en vie réelle, sont recherchés aux quatre coins de la France. La pénurie est quasi totale désormais dans les Hauts-de-France, le centre Val-de-Loire, l’Occitanie et en Corse. Secteur tertiaire, industrie, services, agriculture : cette spécialité offre de très nombreuses perspectives.
Longtemps restée isolé, la médecine du travail s’exerce désormais en équipe avec un développement de moyens que les chefs d’entreprise discutent peu pour de simples raisons de responsabilité et de sécurité. Les médecins du travail deviennent les acteurs clés de la prévention au quotidien et lorsqu’une situation dérape, ils sont les derniers remparts pour protéger et orienter celles et ceux qui souffrent de leur travail.
Un métier d'avenir ?
Aujourd’hui, un poste sur trois n’est pas pourvu en médecine du travail. Cette spécialité pleine d’intérêts ne mérite pas cette crise des vocations au moment où les risques psychosociaux au travail explosent. À la tête du sixième groupe de médecine du travail de France, Xavier Deparis qui coordonne 70 médecins du travail réalisant 150 000 visites individuelles chaque année, témoigne. « Les situations de harcèlement dévoilent un monde du travail de plus en plus pathogène au sein duquel les besoins de prises en charge sont croissants. » Alors, ce professeur de santé publique et d’épidémiologie prend le contre-pied et affirme qu’il s’agit bien d’un métier d’avenir. Comment expliquer pourtant le désintérêt constaté pour la discipline. « Aujourd’hui, 95 % des moyens de notre système de santé sont encore investis dans le curatif. Alors, on apprend à bien prendre en charge l’individu, mais pas la collectivité et au moment de passer l’internat, nos étudiants ne sont pas formatés pour se lancer dans la prévention, » poursuit-il.
Le rôle des préventeurs
Dans les années qui viennent, il estime que la prévention ne va pas rester la question lambda au moment des ECN. Il fonde de multiples espoirs pour que le virage de la prévention promis par le nouveau gouvernement et le président de la République en tête, ait bien lieu. « La médecine de demain sera d’abord de prévention et il faudra rapidement aller au-delà des effets d’annonce dans ce domaine, » poursuit Xavier Deparis. Un nouvel élan qui devrait renforcer la position du médecin du travail devenu peu à peu coordonnateur d’une équipe de professionnels. « Psychologues, ergonomes, infirmiers et médecins deviennent des préventeurs ! »
Un terme québécois, qu’affectionne Xavier Deparis pour réunir sous une même bannière l’ensemble des acteurs de la prévention et gommer quelques anachronismes un peu difficiles à retenir comme les intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP) où les assistants sécurités travail (ASST). Le médecin du travail devient animateur d’une équipe et a la responsabilité de suivre les salariés. À Nantes, chacun d’entre eux suit 400 à 600 entreprises, de la TPE à la multinationale. Le service de santé au travail de la région nantaise, c’est 250 salariés qui travaillent au quotidien pour conseiller et accompagner les 20 000 entreprises adhérentes du bassin d’emploi nantais dans la préservation de la santé au travail. Xavier Deparis considère que la prévention des risques professionnels est un facteur de progrès pour les chefs d’entreprise comme pour les salariés. C’est devenu son challenge. Après avoir été médecin militaire au Val de Grâce, il a pris la direction de la prévention de ce service pour s’y consacrer totalement.