Le point de vue du Pr Olivier Morel*

Accompagnement et sécurité : en maternité !

Publié le 18/06/2021
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Pour le Pr Olivier Morel, la médicalisation des accouchements est une réalité nécessaire pour leur sécurisation, et tous les professionnels se doivent de l’indiquer aux couples en demande. Mais pour ce gynécologue, il est urgent aussi d’améliorer les soins et de déployer les moyens pour le plus grand nombre.

Olivier Morel

Crédit photo : DR

Doit-on revenir à une organisation des accouchements à domicile ? Cette question est aujourd’hui posée, dans un contexte français où l’immense majorité des naissances a lieu en maternité. Les motivations des futurs parents sont évidemment multiples, mais le vécu de l’accouchement dans ses différents aspects est au cœur de la réponse. Lorsque l’on échange avec eux, ou que l’on parcourt les différents réseaux sociaux ou blogs sur le sujet, le domicile apparaît alors comme un environnement qui serait plus sécurisant d’un point de vue affectif. La naissance y serait à la fois plus calme, et l’accouchement plus libre : les mamans pourraient plus facilement s’y exprimer, crier, pleurer, rire, les deuxièmes parents également. L’accouchement y serait également plus naturel, on y subirait (je reprends ce terme) moins d’interventions médicales, perçues a priori comme non justifiées voire délétères.

Travaillant en maternité universitaire de recours, et faisant tout mon possible au quotidien pour répondre au mieux aux attentes individuelles et projets de naissance de tous les futurs parents que les équipes prennent en charge, je me pose plusieurs questions face à ces arguments.

L’arrivée d’un enfant, moment exceptionnel s’il en est, suscite autant d’attentes que d’émotions. Et les déceptions peuvent être tout aussi grandes lorsque tout ne se passe pas comme prévu. Les professionnels permettent cependant d’offrir un haut niveau de satisfaction à l’immense majorité des parents, selon les enquêtes obligatoires et annuelles réalisées dans nos maternités. Je suis bien sûr convaincu que l’on peut et pourra toujours mieux faire : en améliorant la qualité architecturale des maternités, qui peuvent être plus cosy tout en restant parfaitement équipées ; en renforçant la disponibilité des équipes avant, pendant et après l’accouchement. Il sera également possible de toujours mieux faire sur le sujet de la juste médicalisation, mais les équipes des maternités françaises proposent des soins régulièrement évalués et très raisonnés, avec des taux de césariennes et d’interventions parmi les plus bas des pays développés.

La sécurité, un prérequis

La maternité, si cosy soit-elle et avec tout le personnel imaginable, ne sera certes jamais le domicile. Mais, justement, la question de l’accompagnement de l’accouchement ne saurait se restreindre à ces questions de vécu, ni notre objectif à ne pas intervenir sur un évènement qui ne devrait être que naturel. L’accouchement est un évènement majeur de la vie qui n’est pas sans risque, à la fois pour la mère et pour l’enfant. Comme dans tous les pays développés, notre système de santé a permis de faire énormément diminuer ces risques.

Quelles que soient la qualité du suivi de la grossesse et l’absence de maladie préexistante, une part très importante des complications continuent de survenir de façon imprévisible au moment de l’accouchement, chez des femmes a priori à bas risque. La médicalisation est une réalité nécessaire pour la sécurisation : c’est bien du rôle premier des sages-femmes que l’on parle ici, et de celui des obstétriciens, pédiatres et anesthésistes, qui doivent pouvoir agir, parfois extrêmement rapidement, si une intervention s’avère nécessaire. Si la qualité du vécu des futurs parents est un objectif majeur pour tous les professionnels de la périnatalité, le prérequis de la sécurité − très élevée aujourd’hui en France grâce à notre système de soin organisé − ne peut cependant pas être oublié !

Les futurs parents s’engageant dans cette voie sont-ils correctement informés ? Cette question doit être légitimement soulevée. Loin de moi l’idée de porter un jugement sur le choix individuel de chaque couple, je suis viscéralement attaché à leur liberté. Mais la liberté de choix ne peut être qu’éclairée. Hors exceptions − reposant sur des expérimentations locales − les risques de l’accouchement à domicile, y compris pour les grossesses dites à bas risque, ne sont pas discutés avec les équipes des maternités amenées à les prendre en charge. Les transports en cas d’urgence ne sont pas organisés. Rappelons ici que 22 % des femmes à bas risque, en maisons de naissance, sont transférées en cours de travail, parfois en urgence extrême (je le dis en connaissance de cause, Nancy étant une des quelques équipes pionnières en France engagées dans l’expérimentation).

Le fait que des accouchements à domicile soient proposés par d’autres pays développés, tels que l’Angleterre ou les Pays-Bas, de façon organisée, ne permet pas de le faire en France dans des conditions satisfaisantes aujourd’hui. Les prérequis de sécurité ne sont pas remplis dans notre pays, du fait de l’absence d’organisation coordonnée avec les maternités à même de prendre en charge les complications, par nature imprévisibles, et de l’absence de système de transfert. Il est par ailleurs conceptuellement faux d’opposer qualité de vécu à domicile et en maternité.

Enfin, il nous revient de réfléchir au meilleur accompagnement possible de tous les futurs parents. Cette démarche ne devrait pas être centrée sur l’accouchement à domicile. Renforcer encore la qualité de prise en charge dans nos maternités est certainement la meilleure façon de répondre aux attentes du plus grand nombre en termes de vécu et de sécurité, y compris, ne les oublions jamais, pour les couples qui vivent malheureusement une grossesse compliquée.

* Chef du service de gynécologie-obstétrique de Nancy, président de la Commission démographie du CNGOF

Source : Le Quotidien du médecin