En 2010, de nouvelles recommandations de dépistage et prise en charge du diabète gestationnel ont été adoptées en France. L’augmentation subséquente de sa prévalence –et donc des grossesses à suivre– pourrait être, à moyens constants, au détriment d’un suivi et d’une prise en charge plus étroits des diabètes gestationnels les plus problématiques. D’où la controverse « Le diabète gestationnel stop ou encore ? », animée en session plénière à la SFD par les Pr Françoise Lorenzini (CHU de Toulouse), factuelle et représentant le bon sens clinique, Emmanuel Cosson (CHU de Bondy) dans le rôle du défenseur d’un dépistage généralisé et enfin, dans le rôle du détracteur enragé, Jacques Lepercq, chef de la maternité du CHU Port Royal (Paris). Partisans et adversaires des nouvelles recommandations ont échangé leurs arguments.
Les nouvelles recommandations
Pour mémoire, les nouvelles recommandations sont venues modifier essentiellement trois points :
- le dépistage est plus précoce, il doit être initié dès le premier trimestre de grossesse et si la glycémie à jeun est normale (< 0,92 g/l), une HGPO 75 g reste indispensable au second trimestre, à 24-28 SA ;
- les seuils glycémiques ont été abaissés (à jeun < 0,92 g/l, à 1 heure < 1,80 g/l, à 2 heures < 1,53 g/l) ;
- le dépistage n’est plus universel mais centré sur les femmes à risque (âge ≥ 35 ans, IMC ≥ 25, antécédent de diabète au premier degré dans la famille, personnel de diabète gestationnel ou d’enfant macrosome [> 4 kg].
Le dépistage est donc beaucoup plus précoce. Le diagnostic est en outre porté face à une seule valeur supérieure aux seuils, à tout moment de l’HGPO. Un parti pris issu de l’étude HAPO mettant en évidence une corrélation linéaire entre hyperglycémie maternelle et complications périnatales (1). Or ces recommandations posent plusieurs problèmes.
Augmentation de la prévalence ou surdiagnostic ?
« En pratique, l’abaissement des seuils augmente la prévalence des diabètes gestationnels. La baisse de 0,95 g/l à 0,92 g/l, plus le fait de considérer que toute glycémie à T0, T1 heure ou T2 heures suffit à porter le diagnostic, majore la prévalence de 2 à 3 %. Soit 25 000 femmes en plus à suivre par an selon les estimations menées sur la base de données de la CNAM. C’est un afflux de patientes difficile à prendre en charge dans de bonnes conditions », explique Françoise Lorenzini. L’afflux est tel qu’aux États-Unis, le NIH recommande d’ailleurs de ne plus utiliser ces nouveaux critères, pourtant lancés au départ par les Américains de l’International Association of the Diabetes and Pregnancy Study Groups (IADPSG).
« Aucune étude randomisée n’a évalué le rapport bénéfice/risque de cette stratégie de dépistage sur les complications néonatales. Or, au seuil de glycémie à jeun de 0,92 g/l au premier trimestre, une femme sur quatre est à risque. Ce qui ferait 200 000 grossesses pathologiques par an, s’exclame Jacques Lepercq. Et aucune étude ne prouve qu’il y a un bénéfice à prendre en charge à partir de 0,92 g/l. Alors que, en revanche, le bénéfice est connu lors de surpoids et d’obésité. Résultat, le choix de ces seuils fait courir le risque d’une surmédicalisation des grossesses à faible risque. Et celui d’une dispersion des moyens ».
Dépistage ciblé : une faille ?
« D’un autre côté, le choix d’un dépistage ciblé, auparavant universel, permet d’éviter le dépistage de 30-40 % des femmes. Soit 300 000 femmes par an en moins, explique Françoise Lorenzini. Mais un quart des diabètes gestationnels surviennent en l’absence de facteurs de risque. On dit qu’ils sont moins graves mais ce n’est pas prouvé. Enfin, d’autres facteurs de risque sont à prendre en considération en pratique clinique même s’ils ne sont pas cités dans ces recommandations. En particulier : certaines origines ethniques, les syndromes métaboliques en surpoids, et les prises de poids importantes en début de grossesse ».
« Plusieurs études observationnelles n’ont pas conforté l’idée qu’en absence de facteurs de risque, le diabète gestationnel soit de meilleur pronostic. Et dans une étude réalisée l’an passé (E. Cosson et al. Diabetes Care 2013) nous avons trouvé autant de complications obstétricales en présence ou absence des facteurs de risque (18 % si FR, versus 17 % sans FR). Du coup, nous avons décidé de continuer le dépistage systématique dans notre service », explique Emmanuel Cosson.
Impact incertain sur le taux de complications
« Le plus gros écueil, explique Jacques Lepercq, c’est qu’aucun essai randomisé n’a mesuré le bénéfice-risque de cette stratégie notamment en termes de choix des seuils ou de ciblage du dépistage. HAPO n’est qu’une étude observationnelle mettant en évidence une relation linéaire entre la glycémie maternelle et macrosomie –poids de naissance supérieur au 90e percentile– hypoglycémies néonatales, taux de peptide C dans le sang du cordon (reflet de l’insulinosécrétion) et le taux de primocésariennes ». Alors même que, dans HAPO, les deux tiers des macrosomes naissent de mère sans diabète gestationnel…
Intérêt à long terme pour prévenir le diabète
« Mais s’il sert à prévenir les complications obstétriques –macrosomie, césarienne, dystocie des épaules…– le dépistage du diabète gestationnel permet aussi de proposer une surveillance post-natale et de mettre en place une éducation nutritionnelle à même de protéger non seulement les mères mais aussi les enfants de l’évolution vers un diabète dans ces familles souvent largement en surpoids », commente Fraçoise Lorenzini. « Sachant que le premier traitement ,ce sont les mesures hygiénodiététiques, qui peuvent à elles seules de diminuer par deux le risque de conversion diabétique », a souligné Emmanuel Cosson.
D’après les communications de Françoise Lorenzini-Grandmottet (Toulouse), Emmanuel Cosson ( Bondy) et Jacques Lepercq (Paris). « Le diabète gestationnel STOP ou encore ? »
(1) BE Metzger et al. Hyperglycemia and adverse pregnancy outcomes. NEJM 2008;358:1991-2002
Article précédent
Les comorbidités passent au scanner de l’Assurance-maladie
Article suivant
Quatorze jours de glycémie
Les comorbidités passent au scanner de l’Assurance-maladie
Difficile équilibre entre trop et pas assez
Quatorze jours de glycémie
Gérer les complications métaboliques des antipsychotiques et des thérapies ciblées
Un an de liraglutide
Une cible indépendante de l’insuline
Que sont devenus les patients ?
HbA1c, la tendance
La précarité majore le risque métabolique
Attention au surtraitement des sujets fragiles
CCAM technique : des trous dans la raquette des revalorisations
Dr Patrick Gasser (Avenir Spé) : « Mon but n’est pas de m’opposer à mes collègues médecins généralistes »
Congrès de la SNFMI 2024 : la médecine interne à la loupe
La nouvelle convention médicale publiée au Journal officiel, le G à 30 euros le 22 décembre 2024