L’ostéosynthèse interne des os longs est en concurrence, selon les sites, avec d’autres méthodes de fixation ou même les prothèses articulaires. Les facteurs limitant en sont, évidemment, la survenue d’une éventuelle infection, mais aussi le degré du résultat fonctionnel espéré, variable selon la technique choisie.
Nous tenterons de répondre, sur la base de différentes situations lésionnelles à 4 grandes questions :
- la place actuelle des plaques verrouillées ;
- les conditions de l’enclouage centromédullaire (ECM) après fracture ouverte de jambe grave ;
- les limites de la conversion, en ECM, d’une fixation externe initiale d’une fracture ouverte de jambe ;
- les limites de l’enclouage fémoral antérograde définitif chez le polytraumatisé.
La place des plaques verrouillées
La restauration fonctionnelle ad integrum après fracture d’un os long passe par l’obtention de sa consolidation en bonne position, sans lésion des parties molles périphériques. L’ECM, la plaque vissée conventionnelle, et le fixateur externe se partagent traditionnellement les indications selon l’état cutané, le type fracturaire, son et la qualité osseuse.
Les plaques verrouillées élargissent potentiellement le champ des indications d’ostéosynthèse par plaque, en raison d’une meilleure solidité de la fixation dans les fractures complexes.
Elles ont fait la preuve de leur supériorité biomécanique par rapport aux plaques classiques pour les fractures articulaires comminutives ou métaphysaires, de même que pour les fractures périprothétiques. Elles ont un intérêt majeur dans le traitement des fractures ostéoporotiques.
Bien qu’elles connaissent un succès croissant depuis 15 ans, leur place dans l’arsenal thérapeutique reste à préciser. Les études cliniques sont encore peu nombreuses et ne concernent que certains sites anatomiques comme l’humérus proximal, l’humérus distal et le radius distal.
Pour l’humérus proximal, dans le cas de fractures à 3 et 4 fragments chez le sujet de plus de 60 ans, la plaque verrouillée n’a pas montré d’avantage significatif par rapport à un traitement fonctionnel. Par rapport à l’hémiarthroplastie, elle donne de meilleurs résultats fonctionnels dans les fractures à 3 fragments et des résultats similaires pour les fractures à 4 fragments.
Pour les fractures articulaires complexes de l’extrémité distale de l’humérus, la prothèse articulaire semble donner de meilleurs résultats fonctionnels que l’ostéosynthèse par 2 plaques, avec un recul de 2 ans. Se pose évidemment la question du devenir, avec le risque de descellement de la prothèse alors que le résultat de la plaque a peu de chance de se dégrader avec le temps.
Pour les fractures comminutives articulaires de l’extrémité distale du radius, la plaque verrouillée n’apporte aucun avantage significatif par rapport au fixateur externe. Seule la force de préhension semble mieux restituée après traitement par plaque qu’après la fixation externe.
Ainsi, l’avantage biomécanique des plaques verrouillées est certain, mais il n’est pas encore clairement prouvé qu’elles améliorent les résultats cliniques par rapport aux autres traitements.
L’ECM des fractures ouvertes de jambe graves
Les fractures ouvertes de jambe graves (grade IIIB de Gustilo), ne sont plus obligatoirement synonymes de traitement par fixateur externe. L’ECM permet une gestion plus aisée de la plaie de la jambe, d’avoir une mobilisation plus facile du genou et de la cheville pour lutter contre la raideur, et enfin de réduire le taux de non-consolidation, qui n’est pas négligeable si le traitement par fixateur externe seul est mené jusqu’à son terme.
Le risque de l’ostéosynthèse interne dans ce contexte est l’infection profonde intramédullaire, dont le traitement est difficile et les suites imprévisibles. Les conditions de réussite de ce traitement sont :
- un parage cutané, à répéter au bloc opératoire, jusqu’à obtention d’une plaie aux pourtours viables. Entre chaque soin, la plaie pourra être protégée par un pansement occlusif et aspiratif ;
- une antibioprophylaxie instaurée dès l’admission du patient ;
- une couverture cutanée par lambeau à réaliser dans les 7 jours.
Dans ces conditions, l’ECM n’est pas suivi d’un taux d’infection supérieur à celui constaté après fixateur externe, alors qu’il offre un avantage certain.
L’ECM en seconde intention après fixation externe
L’ECM est le traitement standard des fractures des deux os de la jambe. Occasionnellement, une fixation externe (FE) temporaire est utilisée pour stabiliser les fractures avec ouverture cutanée sévère et/ou atteinte vasculaire.
L’ECM secondaire des fractures de la diaphyse tibiale après fixation externe est intéressante, du fait d’un taux élevé de pseudarthrose non négligeable (10 à 40 %) après un traitement par FE mené jusqu’à son terme.
Cette séquence peut être envisagée en évaluant le risque d’infection profonde inhérent à une telle conversion et les facteurs pouvant le limiter. Deux conditions :
- le fixateur externe doit être posé depuis moins d’un mois ;
- la couverture cutanée de la jambe doit être obtenue dans la 1re semaine.
Le taux de non-consolidation et d’infection reste légèrement en dessous de 10 %.
Ostéosynthèse interne définitive chez le polytraumatisé
Depuis les années 1990, s’est développé le concept de « Damage Control Orthopaedics » (DCO), caractérisé par une stabilisation primaire, rapide, temporaire des foyers de fracture, suivie d’une prise en charge définitive une fois la phase critique de récupération systémique passée. Cette fixation primaire fait appel essentiellement au fixateur externe, mais non exclusivement, certains proposant au fémur l’enclouage fémoral rétrograde de petit diamètre (« damage control nailing »).
Le DCO ne s’adresse qu’aux patients ayant une fracture diaphysaire fémorale associée à un traumatisme général avec atteinte pulmonaire, abdominale ou crânienne significative. En effet, la fracture du fémur est associée à un risque élevé de complications postopératoires, qui n’a jamais été rapporté après une fracture tibiale ou des os longs du membre supérieur.
Le but du DCO est de permettre à l’anesthésiste-réanimateur de contrôler et de stabiliser l’état général du patient le plus rapidement possible. Quand l’ECM standard, agressif par l’alésage et l’impaction d’un clou de diamètre adapté, est susceptible de stimuler la réponse inflammatoire du patient et de déclencher une défaillance multiviscérale (Multiple Organ Dysfunction Syndrome ou MODS) ou pulmonaire (Acute Respiratory Distress Syndrome ou ARDS).
Cependant, on ne sait pas avec certitude dans quelle mesure ce type d’ECM est délétère. Les études sont contradictoires et lorsque l’effet pathogène de l’enclouage est suspecté, on ne sait pas qui de l’alésage, de l’impaction centromédullaire, ou du saignement lié à l’enclouage, doit être incriminé.
Certains critères cliniques et biologiques doivent conduire à la réalisation d’un DCO et éviter l’enclouage fémoral définitif d’emblée : un choc hémorragique, une hypothermie < 33 °C, une coagulopathie avec un taux de plaquettes < 90 000. Secondairement, une fois l’état du patient stabilisé, l’enclouage fémoral antérograde définitif pourra être proposé, après un intervalle de temps de 6 à 8 jours jugé optimal.
D’après la conférence d’enseignement des Drs Hervé Nieto, CH Georges Renon (Niort)
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