LE QUOTIDIEN : En tant que président du Syndicat des chirurgiens urologues, pensez-vous qu'il y ait des dérives de l'AME ?
Oui et en tant que citoyen et médecin, j'estime qu'il est de mon devoir d'alerter les pouvoirs publics sur le fait que la générosité des Français est en partie détournée de sa fonction principale. En gros, il y a l'AME constatée par un certain nombre d'associations humanitaires bienveillantes, qui vont rencontrer des étrangers en situation irrégulière, dans une vraie souffrance médicale, pour les soigner.
Et puis il y a le tourisme médical, que ces associations ne voient pas, avec des patients qui viennent en France pour bénéficier de notre générosité ou fuir un système de santé ne répondant pas à leurs attentes, pour des questions économiques ou d'offre de soins.
Il y a donc pour vous des « filières », un business autour de l'AME ?
Oui, il y a des filières, pas nécessairement malveillantes d'ailleurs. Il y a d'un côté l'entraide familiale, lorsqu'une personne travaille en France et fait venir l'oncle ou la tante, avec un diabète, une insuffisance rénale, un cancer, qui ne sont pas bien pris en charge ou pas accessibles financièrement dans le pays d'origine.
Mais il y a aussi des filières avec de vrais passeurs, par exemple en Géorgie, avec des individus qui vont organiser le voyage pour des gens ayant besoin de soins, et prendre des commissions. Des associations organisent également la venue d'enfants pour des séjours chirurgicaux, et des avocats prennent des honoraires pour préparer les dossiers.
Votre spécialité est-elle confrontée à de telles situations ?
Oui, ce sont par exemple des chirurgies de l'hydrocèle, des chirurgies fonctionnelles qui ne sont pas toujours des chirurgies de cancérologie. Tous les urologues ont déjà fait des soins pour des personnes en AME – et souvent gratuitement car la démarche, en libéral, pour se faire rembourser une consultation réalisée dans ce cadre est très compliquée. Mais à la limite, ce n'est pas grave car c'est mon devoir de soigner l'indigent en tant que médecin.
En revanche, quand je reçois un patient et qu'il m'amène son cousin ou son copain peu de temps après pour se faire soigner, cela pose problème. Personnellement, je dois en voir à peu près une fois par mois.
Reconnaissez-vous les bénéfices à l'AME en termes de santé publique ?
Il est indispensable que l'AME existe et que l'on puisse prendre en charge, non seulement les soins des étrangers en situation irrégulière mais aussi des Français non cotisants. Les soins sont indispensables pour des maladies infectieuses ou tumorales graves ; mais est-ce légitime de prendre en charge à ce titre des prothèses de hanche, d'épaule, des éventrations ou des hernies ? Je n'en suis pas certain.
On doit maintenir cette aide mais absolument la contrôler. Nos concitoyens, qui cotisent chaque mois, ont le droit de savoir à quel niveau se situe notre générosité. Par contre, affirmer que l'AME donne droit à des implants dentaires ou à de la chirurgie esthétique et que ces étrangers pillent notre système de santé, c'est faux !
Vous êtes donc partisan d'une réforme ?
D'abord, on doit essayer de voir comment ça marche précisément. On est incapable d'avoir des chiffres exacts ! Il faut créer un observatoire pour analyser les flux migratoires, le tourisme médical, les passeurs et les contrôler, voire les sanctionner. Il faut que ces passages illégaux s'arrêtent, ou au moins soient connus. Cela permettrait de faire pression sur les pays d'origine. Une fois qu'on aura cet observatoire, on pourra réfléchir à l'idée de limiter les soins couverts, par exemple aux pathologies infectieuses et aux ALD.
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