Une méta-analyse récente des publications des 40 dernières années montre que, tous cancers et tous stades confondus, la prévalence de la douleur est supérieure à 50 %, et que les douleurs sont d’intensité modérée à forte dans 1/3 à 2/3 des cas (1). Si dans cette méta-analyse le pourcentage de patients insuffisamment traités est évident, les données dont on disposait en France étaient jusqu’à présent relativement anciennes, incomplètes et possiblement biaisées. En particulier, les informations manquaient sur la prévalence de la douleur neuropathique et des crises douloureuses qui sont au quotidien des causes d’échec de soulagement quand elles ne sont pas prises en compte.
Enquête INCa.
Une enquête a été réalisée sous l’égide de l’Institut national du cancer (INCa) en 2010 pour faire un état des lieux de la prise en charge de la douleur en France. Cette enquête a été menée auprès de 1 541 patients traités ou suivis en ambulatoire pour un cancer et a analysé 1 507 questionnaires. 28 % des patients étaient en phase de traitement curatif (CC), 53 % au stade de cancer avancé (CA) et 18 % en phase de surveillance ou de rémission avec pour la majorité d’entre eux un recul de plus d’un an par rapport à la fin de la chimiothérapie. Soulignons que 749 000 personnes sont traités en France chaque année pour un cancer actif (donnée 2 011 publiée en 2012).
Dans l’enquête INCa, la prévalence de la douleur est de 53 % (58 % dans les CA et 50 % dans les CC). Elle est chronique dans 55,8 % des cas (58 % dans les CA et 43% dans les CC). La douleur est sévère dans 34 % des cas de CA et dans 23 % des cas de CC. Près de 60 % des patients qui souffrent présentent au moins une fois par jour une crise douloureuse d’intensité 6/10.
Si la douleur est nociceptive dans la grande majorité des cas, il est important de reconnaître une douleur neuropathique, ou une composante neuropathique d’une douleur, car elle requiert une approche thérapeutique spécifique. Une douleur neuropathique probable est retrouvée chez 43 % des patients douloureux et est indiquée par 36 % des patients comme étant le tableau douloureux au premier plan.
L’analyse des questionnaires des 420 patients douloureux atteints de cancer avancé a été faite par l’approche du calcul du Pain Management Index (PMI), en se référant d’une part aux déclarations des patients pour l’intensité de la douleur, d’autre part aux déclarations des médecins pour le palier d’antalgiques prescrits. Ainsi, si l’on se base sur cet index, 262 (62 %) des patients douloureux en situation de cancer avancé sont sous-traités. Enfin, en excluant les douleurs neuropathiques et en comparant le tableau douloureux et la puissance du traitement antalgique selon l’OMS, on retrouve : 14 % de douleur spontanée "légère" sans traitement ; 15 % de douleur "légère" sous traitement (patients soulagés), 26 % de douleurs "modérées" ou "sévères" insuffisamment traitées ; 26 % de douleurs "modérées" ou "sévères" sans antalgique.
La nécessité de filières organisées. L’ensemble de ces chiffres est cohérent avec les données de la littérature et on peut conclure qu’il n’a pas été mis en évidence de progrès dans la prise en charge de la douleur cancéreuse en France ces dix dernières années. Ce tableau n’est pas propre à la France ; en 2007 aux Pays-Bas, 65 % des patients étaient sous-traités et selon une étude prospective, 44,7 % des patients en Italie.
L’absence de soulagement de la douleur du cancer peut s’expliquer soit par un traitement de fond de palier insuffisant, non en adéquation avec l’intensité de la douleur, soit par une adaptation insuffisante de ce traitement de fond mais également par une carence de prise en charge. Celle-ci doit s’envisager dans le cadre d’une filière organisée. On constate le rôle majeur des oncologues (cités par 90 % des patients) et des médecins généralistes (64 %) dans la prise en charge de la douleur, toutes situations confondues. Le recours à une consultation antidouleur est rare (7 %), de même que la prise en charge pluridisciplinaire
(1 %), alors que la douleur est qualifiée de sévère chez 28 % des patients.
D’après la Communication du Dr Thierry Delorme, Institut Curie, Paris, chargé de mission à l’INCa
(1) Van den Beuken-van Everdingen MHJet al.Prevalence of pain in patients with cancer: a systematic review of the past 40 years. Ann Oncol 2007; 18: 1437–1449.
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