En lutte contre le tabac

Par
Publié le 17/11/2023
Article réservé aux abonnés
Au congrès de la Société francophone de tabacologie, la lutte s’organise sur tous les fronts : prise en charge médicale individuelle, actions collectives juridiques, analyse des stratégies de l’industrie pour mieux la contrer et dénormalisation du tabac.
Le tabac coûte dix fois plus cher à l’État que ce qu’il ne rapporte  Voisin

Le tabac coûte dix fois plus cher à l’État que ce qu’il ne rapporte Voisin
Crédit photo : VOISIN/PHANIE

La France compte près d’un tiers de fumeurs, un quart au quotidien. Les besoins de lutte contre le tabac sont immenses. Tels quels, les chiffres du sevrage sont décourageants : seuls 3 à 5 % des fumeurs font une tentative d’arrêt chaque année et restent non-fumeurs au terme d’un an. Lorsqu’ils n’ont pas réussi, ils attendent assez longtemps avant une nouvelle tentative, ce qui augmente d’autant leur durée d’exposition et leur risque de maladie.

« En consultation de tabacologie, nous recevons surtout les profils les plus sévères : des personnes très dépendantes au tabac, avec des comorbidités médicales liées au tabac et/ou des fumeurs présentant des antécédents psychiatriques », explique la Dr Anne-Laurence Le Faou, addictologue à l’hôpital européen Georges-Pompidou (Paris) et présidente de la Société francophone de tabacologie (SFT). Ceux qui consultent ont en moyenne 47 ans. Les personnes les moins éduquées et les moins insérées socialement sont en augmentation dans ces consultations depuis les années 2000. Environ 35 % viennent de leur propre initiative, 5 % sont encouragées par l’entourage, 14 % sont adressées par des professionnels de santé de ville ou en entreprise et 46 %, en raison d’une hospitalisation, d’une consultation hospitalière ou d’un suivi de maternité.

Développer le soutien à l’arrêt

« Dans ces consultations spécialisées, un patient sur deux maintient l’arrêt pendant un mois. Comme l’indique le slogan du Mois sans tabac, issu de statistiques britanniques, parvenir à arrêter un mois multiplie par cinq les chances de rester non-fumeur à un an. En outre, plus ces personnes se présentent aux consultations de suivi (plusieurs rendez-vous les premiers mois, suivi d’au moins six mois), plus leur taux de sevrage augmente », indique la Dr Le Faou.

Les consultations se sont aussi développées dans les maternités, mais souffrent d’un manque de moyens. Pour les plus jeunes, des consultations jeunes consommateurs (CJC) ont été mises en place. Elles complètent les consultations de ville, essentielles. Avec l’aide d’un généraliste, un fumeur sur cinquante conseillés pour l’arrêt du tabac s’arrête. Mais il est difficile de tenir dans la durée : il faut en moyenne cinq à six tentatives d’arrêt avant le sevrage définitif. « Il y a donc urgence à ce que la tabacologie de demain puisse se développer partout, raison pour laquelle la SFT forme des médecins généralistes, addictologues, sages-femmes, infirmiers, etc. Il serait bien que la question du tabagisme soit systématiquement posée, quel que soit le motif de consultation, et, pour ne plus s’arrêter à un simple conseil d’arrêt, qu’une prescription de substitution nicotinique soit initiée ou que les coordonnées d’une consultation de tabacologie soient données ou encore qu’un recours à la ligne Tabac Info Service au 39 89 soit conseillé », insiste la Dr Le Faou.

Contrer l’industrie…

La lutte contre le tabac est aussi celle contre l’industrie. Le Comité national contre le tabagisme (CNCT) reçoit une subvention annuelle de la Direction générale de la santé pour agir sur le plan judiciaire. « L’action du CNCT est effectuée à la demande des pouvoirs publics car il n’y a pas d’action à l’initiative du parquet, explique Me Hugo Lévy, avocat de ce comité. Il existe un bloc jurisprudentiel concernant la législation du code de la santé publique applicable aux produits du tabac, assez ancienne mais plutôt complète. »

Le CNCT participe aussi à l’élaboration d’une jurisprudence protectrice de la santé publique en ce qui concerne les produits du vapotage et les nouveaux produits de la nicotine. « Nous avons fait condamner British American Tobacco France pour publicité agressive sur le vapotage », donne pour exemple Me Lévy.

Autres décisions rendues : la condamnation de Japan Tobacco International France pour son utilisation de pages de réseaux sociaux (la publicité est illicite indépendamment du message délivré) et de la société Akiva concernant les sites wpuff.com et wpuff.fr. « De quoi réfréner les ambitions de diffusion massive de l’industrie du tabac », souligne Me Lévy.

… et décrypter son lobbying

Un autre axe consiste à décrypter les stratégies de l’industrie du tabac. Le projet de recherche Forme et effet du lobbying de l’industrie du tabac et ses alliés en France (Felitaf), mené autour de la presse et des documents parlementaires, est financé par l’Institut national du cancer (Inca) et l’Institut pour la recherche en santé publique (Iresp), et dirigé par la Pr Karine Gallopel-Morvan, de l’école des Hautes études en santé publique (Ehesp).

« Lire la presse professionnelle permet d’avoir accès au discours des industriels du tabac et des buralistes, sans le filtre du politiquement correct. Les publications les plus importantes en termes d’audience sont La revue des tabacs et Le losange, qui s’adresse à la confédération des buralistes. Ils sont 23 000 en France mais le magazine tire à 30 000 exemplaires, soit un delta de 7 000 exemplaires possiblement diffusés auprès de politiques », détaille la Dr Ana Millot, ingénieure de recherche en marketing social (Ehesp).

Entre 2000 et 2020, la prévalence tabagique en France a significativement diminué, lorsque des politiques fiscales fortes ont été mises en place (plan cancer et paquet à 10 euros) : cette mesure est contestée par la filière tabacole. Leur argument phare : « augmenter les taxes augmenterait le commerce illicite (contrebande) et le passage transfrontalier, rendant illusoire la baisse du tabagisme et mettant en péril les commerces de proximité, décrypte la Dr Millot. Cette mise en avant des buralistes est particulière à la France, en raison de leur monopole de distribution des produits du tabac. En outre, ils bénéficient d’une image très positive – 41 % étant situés dans des villes de moins de 3 500 habitants, où ils jouent un rôle social –, bien plus que celle de l’industrie du tabac. Entre 2004 et 2022, les buralistes ont d’ailleurs été aidés à hauteur de 3,95 milliards d’euros et ce, alors que le CNCT pointe un non-respect des interdictions de vente de tabac aux mineurs et de publicité sur les lieux de vente. »

Dénormalisation collective

Une autre piste envisagée pour contrer l’industrie tabacole est de dénormaliser les produits du tabac et de la nicotine. Pour cela, l’Alliance contre le tabac (ACT), financée par le fonds de lutte contre les addictions, rappelle les effets très délétères sur l’environnement. Chaque année dans le monde, 4 500 milliards de mégots sont jetés dans la nature alors qu’il s’agit d’un déchet dangereux, responsable d’incendies et de pollutions mettant en péril la biodiversité. Or, 20 % des fumeurs pensent à tort que les mégots sont biodégradables !

Contre les déchets générés par l’industrie du tabac, l’ACT, en association avec l’ONG environnementale Surfrider Foundation, lance une campagne de sensibilisation sur les réseaux sociaux auprès des 15-24 ans.

Il est grand temps que l’industrie du tabac rende des comptes sur ses méfaits environnementaux et économiques. « Le coût financier du tabac pour l’État français est de 153 milliards d’euros par an, alors qu’il y gagne 15 milliards. Chaque Français, qu’il fume ou non, paie 2 300 euros par an de conséquences du tabagisme », souligne le Pr Loïc Josseran, président de l’ACT.


Source : Le Quotidien du médecin