Présenté au départ comme un plan d’investissement massif pour l’hôpital, le Ségur de la santé, lancé fin mai par Édouard Philippe et Olivier Véran, aura-t-il aussi un impact sur la médecine de ville ? Le gouvernement assure que les libéraux, intégrés à la concertation, ne seront pas oubliés des réformes relatives à l’organisation des soins et aux rémunérations, qui devraient être arbitrées mi-juillet. La profession demande des gages.
En rappelant le rôle crucial des soignants et en pointant certains dysfonctionnements, la crise du coronavirus a poussé le gouvernement à entamer une réforme en profondeur du système de santé. Mi-mai, alors que les Français pouvaient enfin aller et venir librement après deux mois de confinement, Emmanuel Macron, en visite à la Pitié-Salpêtrière, confiait à quelques soignants avoir commis une « erreur » avec le plan Ma santé 2022. « C’était une super stratégie mais à faire dix ans plus tôt », concédait le président de la République au sujet de la réforme présentée en grande pompe à la rentrée 2018, au début de son quinquennat.
Dans la foulée, le ministre de la Santé, Olivier Véran, annonçait l’organisation d’un Ségur de la santé dès la fin du mois de mai, avec l’objectif ambitieux d’aboutir à des accords en un temps record (voir encadré). Dans un entretien au Journal du dimanche, il détaillait quelques pistes pour panser les plaies béantes de l’hôpital : augmentation de la rémunération des infirmières pour atteindre la moyenne européenne (44 000 euros par an), assouplissement des 35 heures… En dépit du rôle joué par les professionnels de santé libéraux lors de l’épidémie de Covid-19, aucune de ces premières annonces ne concernait la médecine de ville.
Craignant l’organisation d’un Ségur de l’hôpital plutôt que de la santé, les syndicats de médecins libéraux se sont rappelés au bon souvenir du gouvernement et ont prévenu qu’il ne faudrait pas les oublier (voir Le Généraliste n° 2913). Message reçu cinq sur cinq par Édouard Philippe et Olivier Véran, qui ont pris soin d’intégrer les représentants des médecins libéraux parmi les participants du Ségur, et les ont explicitement mentionnés lors de l’ouverture de la concertation.
« Le Ségur de la Santé permet de vous réunir, acteurs de la santé et du grand âge, d’abord pour que vous partagiez votre expérience de la crise. Mais surtout pour construire ensemble l’avenir de l’hôpital et plus largement une nouvelle organisation des soins. Pour trouver les moyens d’accélérer la rénovation en profondeur de notre système de santé », a affirmé Édouard Philippe en lançant la concertation le 25 mai. Le Premier ministre a rappelé son ambition de continuer à « casser les logiques de silo pour encourager les coopérations entre la médecine de ville et l’hôpital, le secteur médico-social ».
Les médecins de ville veulent être acteurs, pas spectateurs
Mais s’agit-il d’une volonté de façade ou d’une véritable conviction ? Le mystère reste, pour l’heure, entier. Le gouvernement semble avoir des idées précises de mesures pour l’hôpital. Sans avoir de « conclusions préétablies », il a d’ores et déjà indiqué vouloir « aller vite et fort » avec des « hausses significatives de salaires ». Aucun objectif net n’a été fixé pour la médecine libérale, relève le Dr Jacques Battistoni, président de MG France. « Je pense qu’il va y avoir du concret pour l’hôpital car le gouvernement y est obligé et en a pris l’engagement. En revanche, est-ce que cela va déboucher sur quelque chose pour la ville ? Sommes-nous présents à la table de ce Ségur en tant qu’observateurs ou en tant qu’acteurs ? Je suis incapable de le dire aujourd’hui, au vu des rares déclarations d’intention qui sont très générales », confiait le généraliste à la veille des premières réunions des groupes de travail du Ségur.
Du côté du ministère de la Santé, on assure que ce Ségur n’a jamais été envisagé comme une réforme hospitalière. Au contraire, la ville et le médicosocial seront « complètement inclus », assure-t-on. Mais alors que certains changements envisagés pour l’hôpital tranchent clairement avec les derniers plans lui étant dédiés, il ne devrait pas y avoir de big bang pour la médecine libérale. Estimant que la crise du coronavirus a confirmé que certaines orientations de Ma Santé 2022 (développement des maisons de santé pluriprofessionnelles, déploiement des CPTS, recrutement des assistants notamment) allaient dans le bon sens, le ministère entend poursuivre sur la voie de l’exercice coordonné et de la télémédecine. Mais le gouvernement veut mettre les bouchées doubles et conclure les discussions cet été afin d’avoir des « effets rapides », si possible dès 2020. Pour ce faire, l’avenue Duquesne veut « penser pratique » et n’exclut pas que des rémunérations supplémentaires puissent concerner les médecins de ville. Une inconnue de taille demeure : le budget dont disposera le gouvernement pour financer l’ensemble des mesures retenues à la fin du Ségur. Une chose est sûre, comme pour l’hôpital, il n’y aura pas d’« argent magique » pour financer cette réforme et en cas de revalorisations, les médecins libéraux devront fournir des contreparties. Concernant la mise en application des mesures pour la médecine de ville, certaines d’entre elles passeraient par l’ouverture de négociations conventionnelles avec l’Assurance maladie, d’autres par la voie législative. « Un Ségur où on annonce qu’on va aller très vite, que les réformes sont les bonnes, a tout de l’échec », met en garde le Dr Jérôme Marty, président de l’UFML-S.
L’occasion de « forcer la porte »
S’ils ne tirent pas de plan sur la comète, et n’ont par ailleurs pas la même lecture de leur marge de manœuvre, les syndicats de médecins libéraux tenteront lors de ce Ségur de faire entendre certaines de leurs revendications. « Il faut un peu forcer la porte pour pouvoir entrer », explique le Dr Battistoni. « Je ne suis pas certain que le gouvernement ait vraiment prévu de faire un effort pour nous. Mais en étant volontaristes, en insistant lourdement pour pouvoir négocier, nous avons un peu plus de 50 % de chances que ce Ségur aboutisse à des avancées », indique le patron de MG France. « Si le gouvernement (…) ne donne pas les moyens à la médecine de proximité et ne supprime pas la concurrence ville-hôpital lors de ce Ségur, c’est fini, je ne croirai plus en rien », confie de son côté le Dr Jean-Paul Hamon, président de la FMF.
Mais au sortir des premières réunions des groupes de travail, les craintes des syndicats de voir le Ségur dédié à l’hôpital se sont confirmées, le mode de concertation choisi leur apparaissant être une redoutable « usine à gaz ».